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jour où cessent toutes les complaisances humaines[1], l’agitation des provinces rhénanes qui ont désormais à faire valoir des griefs mieux compris que les griefs exclusivement politiques, tout constate que, dans cette affaire, il faudra reculer devant la conscience des peuples ; si l’on ne veut courir des chances incalculables.

Rome hésite long-temps, et c’est un devoir, lorsqu’il faut attaquer les pouvoirs publics, et s’associer en quelque chose aux résistances qu’ils rencontrent. Mais il fallait ici préserver l’avenir et peut-être réparer quelque chose dans le passé. Avec les plaintes de la Prusse catholique, les douleurs de la Pologne pourraient bien monter aussi jusqu’au pied du Vatican, trop long-temps inaccessible. Alors la politique européenne rencontrerait des complications inattendues, et que le monde ne pénètre pas encore.

Rome a été bercée au vent de toutes les fortunes : selon le cours des idées et des siècles, selon ces nécessités temporaires, que subit, en les dominant, toute pensée immortelle, elle a navigué, tantôt avec les puissances, tantôt avec les peuples ; ainsi triomphante au sein du calme, ou le front souvent caché sous l’écume des flots, s’avance vers ses mystérieuses destinées, cette église dont la barque du pêcheur est le naïf et sacré symbole.

La Prusse a entrepris un duel que la prudence semblait commander d’éviter. Le champ clos, d’ailleurs, est bien rapproché de la Belgique où flottent enlacés les drapeaux de la liberté civile et religieuse ; pays que ses souvenirs, ses mœurs, ses intérêts, lient d’une manière si étroite aux provinces rhénanes, et dont il nous est arrivé d’écrire dans ce recueil même, bien avant les complications actuelles : « Dans vingt-cinq ans la Belgique aura obtenu le pays entre Meuse et Rhin, ou elle sera réunie à la France[2]. »

Les affaires religieuses de la Prusse sont trop graves pour que nous n’en tenions pas compte, en appréciant notre véritable position en Europe.

Contre la diète de Francfort, la France représente, en effet, l’esprit constitutionnel ; contre la Prusse, si, ce qu’à Dieu ne plaise, une alliance aussi honorable qu’utile venait à se dissoudre, elle représenterait le principe catholique attaqué dans sa liberté. À ce titre, au moins, on devait attendre d’écrivains patriotes une appréciation sérieuse de cette grave question. Mais certains théologiens émérites de la restauration ont retrouvé leur science d’il y a dix ans, et tous les agrémens de leur polémique. Ils se sont voués à la Prusse que cette alliance pourtant ne suffit pas à rassurer, et qui songerait, dit-on, à en contracter une autre.

Il ne manquait plus, pour être en mesure de saisir l’Allemagne par tous les points sensibles, que de pouvoir faire appel à l’esprit universitaire ; et le

  1. « Nunc morbo dolorosissimo correptus, in vitæ discrimine versans, divinâ gratiâ illustratus ex actis illis ecclesiæ mala gravissima oritura, et ecclesiæ catholicæ canones et principia iisdem læsa esse perspectum habeo ; ideoque quantum hac in re summi momenti erravi, pænitentia ductus liberâ mente et proprio motu retracto.  » (Lettre de l’évêque de Trèves au lit de mort, Espositione di fatto, etc., annexe VI).
  2. De la Nationalité belge, no  du 1er juin 1836.