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de convention différant légèrement du premier dans la forme, mais quant au fond absolument semblable. Il eut le même sort que l’acte du 5 janvier ; Napoléon s’obstina dans son refus. La fermeté d’Alexandre n’en fut point ébranlée. Il s’opiniâtra à son tour dans ses exigences, et, s’enhardissant par la résistance, il prit une décision d’une fermeté bien audacieuse. Il ordonna à son ambassadeur à Paris, le prince Kourakin, de n’admettre aucune modification, soit dans le fond, soit dans la forme, à son dernier projet, et de déclarer en termes respectueux, mais fermes, à l’empereur Napoléon, qu’un nouveau refus de sa part de le ratifier serait considéré par l’empereur son maître comme la preuve qu’il avait résolu de rétablir un jour la Pologne.

C’était la première fois, depuis la paix de Tilsitt, que le czar faisait entendre un pareil langage au chef de la France ; mais la nature opiniâtre de celui-ci ne fit que se raidir davantage devant le ton impératif de son rival. Entre la Pologne et la Russie son choix était fait depuis long-temps. Certes, on ne pouvait s’attendre à le voir reculer devant son propre ouvrage, à répudier le passé par crainte de l’avenir, à démolir aujourd’hui ce qu’il avait édifié hier. Moins que jamais il était disposé à faiblir sur un point qui touchait aux fondemens même de sa politique, lorsque l’Autriche et la Turquie s’attachaient à son char. Irrité de se voir forcé dans les derniers retranchemens de sa pensée, il rompt violemment une négociation qui le fatigue.

« Que prétend la Russie par un tel langage, dit-il au prince Kourakin ; veut-elle la guerre ? Pourquoi ces plaintes continuelles ? pourquoi ces soupçons injurieux ? Si j’avais voulu rétablir la Pologne, je l’aurais dit, et je n’aurais pas retiré mes troupes de l’Allemagne. La Russie veut-elle me préparer à une défection ? Je serai en guerre avec elle le jour où elle fera sa paix avec l’Angleterre. N’est-ce pas elle qui a recueilli tous les fruits de l’alliance ? La Finlande, cet objet de tant de vœux et de combats, dont Catherine II n’osait pas même ambitionner quelque démembrement, n’est-elle pas, dans toute sa vaste étendue, devenue province russe ? Sans l’alliance, la Moldavie et la Valachie, que la Russie veut réunir à son empire, lui resteraient-elles ? Et à quoi m’a servi l’alliance ? A-t-elle empêché la guerre avec l’Autriche, qui a retardé les affaires d’Espagne ? J’étais à Vienne avant que l’armée russe ne fût rassemblée, et cependant je ne me suis pas plaint ; mais certes, on ne doit pas se plaindre de moi. Je ne veux point rétablir la Pologne ; je ne veux point aller faire mes destinées dans les sables de ses déserts. Je me dois à la France et à ses intérêts, et je ne prendrai pas les armes, à moins qu’on ne m’y force, pour des intérêts étrangers à mon peuple. Mais je ne veux point me déshonorer en déclarant que le royaume de Pologne ne sera jamais rétabli, me rendre ridicule en parlant le langage de la divinité, flétrir ma mémoire en mettant le sceau à cet acte d’une politique machiavélique ; car c’est plus qu’avouer le partage de la Pologne, de déclarer qu’elle ne sera jamais rétablie : non, je ne puis pas prendre l’engagement de m’armer contre des gens qui m’ont bien servi, qui m’ont témoigné une bonne volonté constante et un grand dévouement. Par intérêt pour eux et pour la Russie, je les exhorte