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que j’ai vaincues… Prétend-elle donc être seule le magasin duquel toutes les marchandises anglaises et les denrées coloniales seront librement versées sur le continent ? Non, quand un nouveau Charles XII serait campé sur les hauteurs de Montmartre, il n’obtiendrait pas cela de moi. Au point où en sont les choses, la Suède doit se prononcer ; qu’elle se déclare pour ou contre la France, le système continental ne peut admettre de puissance neutre sur le continent. M. Alquier (ministre de France à Stockholm) recevra l’ordre de demander à votre gouvernement qu’il déclare la guerre à l’Angleterre, qu’il ferme ses ports, que ses batteries soient armées, que les vaisseaux anglais ne puissent approcher des côtes sans qu’on tire sur eux, qu’enfin les bâtimens anglais actuellement dans les ports de Suède et les marchandises anglaises, soient saisis et confisqués. Si votre gouvernement se refuse à ces demandes, M. Alquier partira ; vous, monsieur, vous quitterez Paris, et je vous ferai la guerre. Je ne puis vous atteindre qu’en Poméranie, mais je vous ferai faire la guerre par le Danemark et par la Russie ; et ne croyez pas que le choix que vous avez fait d’un prince français puisse rien changer à mes déterminations. Ce choix est une insulte quand vous ne marchez pas dans mon système. Ce choix est un inconvénient de plus pour moi, car il peut donner de l’ombrage à la Russie ; vous savez que je ne l’ai pas voulu, que toutes vos démarches avant l’élection n’ont pu obtenir un mot d’assentiment de ma bouche ni de celle de mes ministres. Si un courrier du prince de Ponte-Corvo s’est fait passer pour un courrier du gouvernement, c’est qu’on a bien voulu ne pas s’y tromper. Mais si, ayant un prince français dans vos conseils, vous ne marchez pas dans mon système, quel ne serait pas le danger d’un pareil exemple ! Qu’aurais-je à dire au Danemark, s’il s’arrangeait avec l’Angleterre ? à la Russie, si elle faisait la paix ? Vous craignez que la guerre avec l’Angleterre ne vous occasionne des pertes ; mais le Danemark n’a-t-il pas fait des pertes ? La Russie ne souffre-t-elle pas ? La Prusse, l’Autriche, la France, ne souffrent-elles pas ? N’est-ce pas par des privations que nous devons acheter la paix, et faut-il que toute l’Europe souffre pour procurer d’immenses richesses à la Suède ? Je vous préviens que j’ai donné ordre de confisquer tous vos bâtimens chargés de denrées coloniales ; je confisquerai aussi les bâtimens français qui sont dans le même cas ; je ferai séquestrer vos bâtimens même chargés de denrées de votre sol, si dans quinze jours vous n’êtes pas en guerre avec l’Angleterre ; j’ai trop long-temps souffert ; j’ai eu le tort de ne pas vous faire cette sommation au moment où je réunissais la Hollande, parce qu’alors mon système recevait une rigoureuse exécution, dont le succès, sans vous, aurait été complet. »

Ce que l’empereur avait dit dans ce fameux discours, il l’exécuta. Le temps des demi-mesures et des faux sermens était passé pour la Suède ; il fallait qu’elle prît un parti, lors même que ce parti serait un abîme. Enfin elle courba la tête et se résigna. Non-seulement la cour de Stockholm déclara formellement la guerre à l’Angleterre, mais elle fit saisir, dans les entrepôts de Gothenbourg et de Poméranie, une quantité considérable de marchandises