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qu’il savait trouver le secret de soulager ses peuples, de vouloir ainsi s’emparer du monopole des denrées coloniales sur tout le continent, et de faire de son système l’instrument du plus épouvantable despotisme qui ait jamais pesé sur l’Europe.

Les dernières mesures adoptées par l’empereur contre l’Angleterre furent sur le point de toucher le but poursuivi par lui avec tant d’ardeur. Pour la première fois, la prospérité de son ennemie fut sérieusement ébranlée dans ses vieilles bases. La production, faute de travail, fut partout arrêtée : les magasins s’engorgèrent ; le change baissa d’une manière effrayante ; les banqueroutes se multiplièrent ; presque toute la population ouvrière de Manchester, de Birmingham, de Liverpool et de Londres, privée d’ouvrage et de salaires, tomba à la charge des paroisses. La cité de Londres tout entière éleva ses clameurs ; elle accabla de pétitions les deux chambres pour les conjurer de sauver le pays d’une ruine imminente en lui donnant la paix. Dans cette terrible crise nationale, le gouvernement britannique se montra, il faut le dire, admirable d’énergie et de courage ; quand tout tremblait autour de lui, lui seul resta ferme et impassible ; une voie de salut lui restait encore, et, tant qu’elle ne lui serait point fermée, il avait résolu de ne point fléchir.

Dans l’esprit de l’alliance de Tilsitt, comme du système continental, tels que les avait conçus l’empereur Napoléon, l’interdiction des ports de la Russie au commerce anglais devait être absolue, s’étendre à tous les genres de produits, aux denrées coloniales aussi bien qu’aux objets manufacturés. La situation et les intérêts de cet empire lui permettaient-ils d’admettre le système avec tous ses développemens, toutes ses exigences ? Les faits allaient répondre.

Depuis le règne de Catherine II, de nombreux essais avaient été tentés par le gouvernement russe pour développer l’aptitude merveilleuse de son peuple à imiter les arts et l’industrie de l’Europe. Sur plusieurs points de l’empire, de grands établissemens s’étaient élevés dans des branches d’industrie où l’Angleterre excellait déjà, particulièrement dans celle des cotons. Catherine II, Paul Ier, Alexandre, n’avaient rien épargné, ni l’or, ni les encouragemens, pour développer leur prospérité ; mais en Russie, comme partout, la concurrence de l’industrie anglaise, étayée par des traités de commerce avantageux, avait comprimé ces germes d’industrie nationale. Un des premiers effets du système continental était d’écarter cette concurrence redoutable. Il devint dans les mains de l’empereur Alexandre, une combinaison parfaitement adaptée à ses vues sur l’industrie naissante de son empire. Il en fit un véritable système de douanes qui devait plus tard porter ses fruits. Le prodigieux essor qu’a pris l’industrie russe depuis vingt ans a pour point de départ, comme presque partout, le système continental. Ce système, dans son application à la plupart des produits manufacturés de l’Angleterre, a donc été sincèrement embrassé par l’empereur Alexandre. Sans doute, la contrebande parvenait à jeter sur les côtes si étendues de son empire une grande masse de ces produits ; mais dans ses ports, le pavillon neutre ne par-