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trancher la question de la guerre. Le moment était prochain où de part et d’autre on allait enfin se dire la vérité tout entière.

Aux dernières mesures militaires de la Russie, la France avait répondu, comme nous l’avons dit, par des armemens extraordinaires. Elle avait augmenté considérablement le matériel et l’effectif des garnisons de Dantzick et de Stettin, dirigé sur Varsovie de nombreux convois d’artillerie et de munitions, porté à cent mille hommes l’armée du prince d’Eckmuhl, invité tous les princes de la confédération à rassembler leurs contingens et à se tenir prêts à marcher au premier signal. Le grand-duché, plus exposé que tout autre, fut aussi le point sur lequel Napoléon dirigea ses principales combinaisons. Toute sa population virile et jeune prit les armes ; des camps furent établis à Sierost et à Modlin ; nuit et jour des milliers de bras travaillaient à fabriquer des armes. Le grand-duché se trouva transformé en un vaste camp. Les passions à Varsovie ne pouvaient plus se contenir ; elles appelaient la guerre comme la crise dernière qui devait compléter la régénération politique et nationale de la Pologne.

La Russie à son tour prenait une attitude formidable. Les travaux sur la Dwina étaient terminés ; trois cent mille hommes avec huit cents pièces de canon occupaient, à la fin d’avril 1811, les gouvernemens de Minsk, de Courlande, de Witepsk et de Volhynie. Le système d’armemens de cet empire était achevé. L’empereur Alexandre était prêt à tout évènement, en mesure de commencer la guerre, si des circonstances favorables l’y excitaient, ou de la repousser, si elle venait le chercher. C’est alors que le cabinet de Saint-Pétersbourg déchira le premier le voile dont jusqu’ici il avait enveloppé sa pensée. Le 8 mai 1811, le chancelier comte de Romanzoff fit entendre au duc de Vicence ces graves et décisives paroles : « Tout ne se réduit point, monsieur le duc, à l’affaire d’Oldenbourg, ni à celle de l’ukase du 19 décembre 1810 ; il en est une autre bien plus importante à résoudre, c’est celle du grand-duché de Varsovie ; ce grand-duché ne peut rester constitué tel qu’il est. » Bientôt notre ambassadeur pénètre la pensée tout entière du cabinet russe, pensée à laquelle s’associe, mais à un moindre degré d’énergie, l’empereur Alexandre. Cette pensée est celle-ci : La Russie ne peut rester désarmée en présence du duché de Varsovie constitué tel qu’il est ; elle préfère la guerre, malgré ses chances périlleuses, à un pareil état de choses ; elle demande que le grand-duché perde son nom, que sa constitution soit dénaturée, qu’il soit réuni, comme une simple province, au royaume de Saxe. Il est une combinaison qu’elle préférerait à tout. La France doit une indemnité au duc d’Oldenbourg ; qu’elle consente à lui donner une partie du duché de Varsovie, ou simplement la ville et le territoire de Dantzick, et la Russie satisfaite s’empressera de désarmer. Ainsi, la politique de cette puissance s’est enhardie ; elle, aussi, est entrée dans une phase nouvelle. De passive qu’elle était jusqu’alors, elle est devenue active, exigeante. Naguère encore, elle ne demandait d’autres garanties contre le rétablissement de la Pologne qu’une simple convention ; aujourd’hui, elle veut davantage. Appuyée sur