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de la fortune, mais la maîtriser, s’élancer avec toutes les forces de la monarchie sur les derrières de nos troupes, donner les mains aux peuples allemands, briser les fers de la Prusse, et enfermer nos armées dans un cercle d’ennemis sur une terre ennemie. ; tel était l’ensemble de leur plan.

Ainsi, deux impulsions contraires agissaient sur l’empereur François : l’une, hardie et violente, toute sympathique avec ses propres penchans, c’était celle d’une partie de sa noblesse ; l’autre, prévoyante et habile, expression triste, mais vraie, de la situation du pays, c’était celle du comte de Metternich. Faible, irrésolu, l’empereur faillit plus d’une fois, en dépit de ses instances redoublées pour obtenir notre alliance, s’abandonner au parti anglo-russe ; mais la main ferme de son ministre le retint sur les bords de l’abîme, car la neutralité la plus complète n’eût point satisfait l’empereur Napoléon. Avant de marcher sur le Niémen, il eût posé à la cour de Vienne l’alternative d’accepter son alliance ou la guerre, et la guerre, c’eût été le démembrement de la monarchie. Elle n’avait donc pas réellement le choix entre deux systèmes ; il fallait qu’elle devînt notre alliée par la seule raison qu’il lui était impossible d’être autre chose.

Aux circonstances extérieures qui faisaient de cette alliance une nécessité étaient venus se joindre de graves embarras intérieurs. Comme si aucune condition de l’extrême infortune ne devait manquer à cet empire, le faisceau qui unissait ses provinces était menacé de se rompre. Une lutte violente venait d’éclater entre la cour et la Hongrie. Au milieu des coalitions de l’Europe contre la révolution française, les Hongrois étaient toujours demeurés fidèles à leurs traditions de liberté et d’indépendance nationale, et jamais ils n’avaient dissimulé leurs sympathies pour cette révolution que leur gouvernement s’était acharné à détruire. Les plus grands désastres de la monarchie les avaient trouvés froids et indifférens, et il était visible qu’ils voulaient tracer une ligne profonde entre leurs intérêts et ceux du reste de l’empire. Après la guerre de 1809, il commença à se manifester dans les classes élevées de ce peuple un sentiment vif et exalté de ses forces et un désir extrême de sortir de son rôle secondaire pour prendre la haute main dans les affaires générales de la monarchie. On ne voulait plus recevoir la loi, de Vienne, mais la donner. Ainsi, tandis que la Russie minait sourdement par ses intrigues religieuses l’attachement des Grecs de Hongrie pour le gouvernement autrichien, l’esprit de liberté et d’indépendance produisait les mêmes résultats dans les diverses classes de la noblesse.

La dernière guerre avait ruiné en Autriche le crédit public par l’abus effroyable qui avait été fait du papier-monnaie, qui, après la paix, était tombé au-dessous du dixième de sa valeur nominale. Voulant rétablir l’équilibre entre ce papier et le prix des espèces métalliques, le gouvernement décréta, le 20 février 1811, qu’à dater du 31 janvier 1812, les billets de banque de Vienne ne seraient plus reçus que pour un cinquième de leur valeur nominale. C’était une banqueroute déguisée. La cour de Vienne résolut de n’admettre ni exception ni remontrance à l’égard de cette grande mesure finan-