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nationales ; la juridiction de ses commissaires s’étendit sur tous les habitans et sur toutes les parties de ses états ; il reconstitua l’unité du pouvoir et le gouvernement central. Il recueillit les restes de la civilisation, et les anima d’une vie nouvelle ; et lorsqu’il eut consacré son siècle à l’admiration de la postérité, il descendit dans la tombe en souverain, laissant à son héritier la paix avec un empire immense, florissant et calme, dont tous les peuples concouraient ensemble vers le but qu’il avait marqué.

Louis-le-Débonnaire, fils malheureux, mais indigne, mais coupable, de ce grand prince, renversa de fond en comble l’édifice majestueux élevé par son père ; il remit la division partout, dans les hommes comme dans le territoire, et rendit par la faiblesse et l’inconstance de son esprit, par son manque de foi et de prudence, tout individuel et local, comme anciennement. Il eut un règne si funeste, qu’après avoir hérité d’un pouvoir qui s’étendait depuis la Catalogne jusque au-delà de l’Elbe, et qui n’avait pas de contrepoids en Europe, il transmit à ses fils, avec la discorde et la guerre, des royaumes qui tombèrent en épouvante et en péril à l’approche de quelques bandes d’aventuriers. Bientôt disparurent pour long-temps la tranquillité publique et la sécurité personnelle, l’autorité royale, les institutions et les lois. La confusion devint générale et le droit fut remis à la force. Fallait-il donc passer par cette anarchie pour arriver à la Renaissance, et la route qu’avait tracée Charlemagne n’y conduisait-elle pas d’une manière plus prompte et plus sûre ?

Au milieu des troubles et des secousses de la société, il s’éleva de toutes parts des hommes nouveaux, sous le règne de Charles-le-Chauve[1]. De petits vassaux s’érigèrent en grands feudataires, et les officiers publics du royaume en seigneurs presque indépendans. Leurs honneurs et bénéfices, c’est-à-dire leurs emplois et les territoires de leur ressort, furent convertis en propriétés, et les pays dont ils étaient les magistrats descendirent entre leurs mains au rang de fiefs héréditaires. Mais pendant ces violences, à l’exemple et en vertu même de ces violences, il s’en commit d’autres qui furent la contrepartie des premières, et qui n’ont pas encore été remarquées, au moins à ma connaissance, autant qu’elles méritaient de l’être. Je veux dire que les usurpations des grands furent imitées par les petits, et que l’appropriation se fit en bas aussi bien qu’en haut. Si les vassaux agirent contre leurs suzerains, les colons et les serfs réagirent contre

  1. Tempore enim Caroli Calvi, complures novi atque innobiles, bono et honesto nobilibus potiores, clari et magni effecti sunt. Gest. consul. Andegav. c. 2.