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REVUE. — CHRONIQUE.

que les commissions n’expriment pas toujours la pensée de la chambre, et qu’en appelant souvent dans les commissions des hommes spéciaux, mais hostiles au ministère, et connus pour tels, la chambre n’entend pas se laisser lier aveuglément par leurs décisions. L’état normal du gouvernement représentatif serait, il nous semble, celui où les chambres chercheraient de bonne foi avec un ministère les moyens d’améliorer les lois, et ce n’est pas ce que fait l’opposition aujourd’hui. Il se peut qu’elle réussisse à faire rejeter quelques projets de loi, mais il n’en restera pas moins établi que les trois principales questions soulevées jusqu’à ce jour, l’adresse, les fonds secrets, la loi sur les armes spéciales, qu’on peut appeler une loi de sûreté pour le pays, ont été résolues en faveur du ministère. Quant aux échecs qu’on lui prépare, nous mettrons encore plus la chambre à son aise que ne fait l’opposition, en lui traçant ici un court exposé des refus qu’on peut faire essuyer à un cabinet sans le renverser, et même sans compromettre son importance politique.

Nous citerons un ministère que les chefs de l’opposition n’ont pas le droit de dédaigner. En fait de lois politiques, d’abord le projet de loi de l’état de siége, annoncé dans le discours de la couronne, mal accueilli par l’opinion et la chambre des pairs, fut tellement dénaturé par la commission, qu’après trois séances, renvoyé de nouveau à la commission, il alla mourir dans les cartons de la chambre.

En 1833, la garantie de l’emprunt grec ne fut accordée au ministère, qui en avait fait une question de cabinet, qu’à une faible majorité, qu’on n’obtint qu’après avoir été forcé de donner communication de tous les documens relatifs à cette affaire. En cette même année, les fonds secrets furent réduits de 300,000 francs, malgré l’opposition très vive du ministère. Le ministère ne se retira point cependant, quoique la chambre lui eût refusé ce vote de confiance.

En 1834, le projet de loi sur l’effectif de la gendarmerie dans l’Ouest ne fut voté qu’à une majorité de douze voix : c’était cependant une question capitale, puisque le ministère déclarait ne pas répondre de la tranquillité de cette partie de la France, si on ne votait son projet de loi. Le ministère, réduit à cette faible majorité, ne se retira pas.

Veut-on savoir ce qui s’est passé depuis 1832 jusqu’à 1837, entre les chambres et les différens ministères, au sujet des lois administratives touchant à des questions politiques ? En 1833, le ministère fut forcé de retirer, par ordonnance royale, le projet de loi relatif à l’organisation municipale, auquel on reprochait d’empiéter sur les libertés publiques.

Un projet de loi sur les attributions municipales, présenté en 1832, fut discuté en mai 1833. M. Thiers, ministre du commerce, était chargé de l’administration des communes. Le rapport de M. Prunelle et les amendemens de la commission bouleversèrent toute la loi. M. Thiers eut à soutenir des luttes très vives, notamment contre M. Barbet et M. Prunelle, sur l’article 7, qui consacrait presque l’indépendance des grandes villes. M. Thiers défendit la centralité avec un admirable talent, mais il succomba. Le ministère ne fit pas discuter la loi à la chambre des pairs, tant il la trouva contraire à ses vœux, telle qu’elle avait été adoptée ; mais il ne se retira pas.