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LE FILS DU TITIEN.

Pippo le chercha, le retrouva, et il tendait déjà la main pour le donner à la jolie nièce, lorsqu’il s’écria tout à coup :

— Ma foi, ma belle, vous ne l’aurez pas ; mais, pour vous montrer que je ne suis pas avare, en voilà dix que je vous prie d’accepter. Quant à celui-là, je veux suivre un avis qu’on m’a donné dernièrement, et j’en fais cadeau à la Providence.

En parlant ainsi, il jeta le sequin par la fenêtre.

— Est-il possible, pensait-il en retournant chez lui, que la bourse de Monna Bianchina me porte bonheur ? Ce serait une singulière raillerie du hasard si une chose qui, en elle-même, m’est désagréable, avait une influence heureuse pour moi.

Il lui sembla bientôt, en effet, que toutes les fois qu’il se servait de cette bourse, il gagnait. Lorsqu’il y mettait une pièce d’or, il ne pouvait se défendre d’un certain respect superstitieux, et il réfléchissait quelquefois, malgré lui, à la vérité des paroles qu’il avait trouvées au fond de la boîte. Un sequin est un sequin, se disait-il, et il y a bien des gens qui n’en ont pas un par jour. Cette pensée le rendait moins imprudent, et lui faisait un peu restreindre ses dépenses.

Malheureusement Monna Bianchina n’avait pas oublié son entretien avec Pippo sous les Procuraties. Pour le confirmer dans l’erreur où elle l’avait laissé, elle lui envoyait de temps en temps un bouquet ou une autre bagatelle, accompagnés de quelques mots d’écrit. J’ai déjà dit qu’il était très fatigué de ces importunités, auxquelles il avait résolu de ne pas répondre. Or il arriva que Monna Bianchina, poussée à bout par cette froideur, tenta une démarche audacieuse qui déplut beaucoup au jeune homme. Elle se présenta seule chez lui, pendant son absence, donna quelque argent à un domestique, et réussit à se cacher dans l’appartement. En rentrant il la trouva donc, et il se vit forcé de lui dire, sans détour, qu’il n’avait point d’amour pour elle, et qu’il la priait de le laisser en repos.

La Bianchina, qui, comme je l’ai dit, était jolie, se laissa aller à une colère effrayante ; elle accabla Pippo de reproches, mais non plus tendres cette fois. Elle lui dit qu’il l’avait trompée en lui parlant d’amour, qu’elle se regardait comme compromise par lui, et qu’enfin elle se vengerait. Pippo n’écouta pas ces menaces sans s’irriter à son tour ; pour lui prouver qu’il ne craignait rien, il la força de reprendre à l’instant même un bouquet qu’elle lui avait envoyé le matin, et, comme la bourse se trouvait sous sa main : Tenez, lui dit-il, prenez aussi cela ; cette bourse m’a porté bonheur, mais apprenez par là que je ne veux rien de vous.