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Il resta à dîner chez l’avogador Pasqualigo, ne pouvant se résoudre à quitter sa marraine, espérant que sa belle inconnue viendrait peut-être faire visite le soir ; mais il ne vint que des sénateurs, des magistrats, et les plus graves robes de la république.

Au coucher du soleil, le jeune homme se sépara de la compagnie, et alla s’asseoir dans un petit bosquet. Il réfléchit à ce qu’il avait à faire, et il se détermina à deux choses : obtenir de la Bianchina qu’elle lui rendît sa bourse, et suivre, en second lieu, le conseil que la signora Dorothée lui avait donné en riant, c’est-à-dire, faire un sonnet sur son aventure. Il résolut, en outre, de donner ce sonnet, quand il serait fait, à sa marraine, qui ne manquerait sans doute pas de le montrer à la belle inconnue. Sans vouloir tarder davantage, il mit sur-le-champ son double projet à exécution.

Après avoir rajusté son pourpoint, et posé avec soin sa toque sur son oreille, il se regarda d’abord dans une glace pour voir s’il avait bonne mine, car sa première pensée avait été de séduire de nouveau la Bianchina par de feintes protestations d’amour, et de la persuader par la douceur ; mais il renonça bientôt à ce projet, réfléchissant qu’ainsi il ne ferait que ranimer la passion de cette femme et se préparer de nouvelles importunités. Il prit le parti opposé ; il courut chez elle en toute hâte, comme s’il eut été furieux ; il se prépara à lui jouer une scène désespérée, et à l’épouvanter si bien qu’elle se tînt dorénavant en repos.

Monna Bianchina était une de ces Vénitiennes blondes aux yeux noirs, dont le ressentiment a, de tout temps, été regardé comme dangereux. Depuis qu’il l’avait si mal traitée, Pippo n’avait reçu d’elle aucun message ; elle préparait sans doute en silence la vengeance qu’elle avait annoncée. Il était donc nécessaire de frapper un coup décisif, sous peine d’augmenter le mal. Elle se disposait à sortir, quand le jeune homme arriva chez elle ; il l’arrêta dans l’escalier, et la forçant à rentrer dans sa chambre

— Malheureuse femme ! s’écria-t-il, qu’avez-vous fait ? Vous avez détruit toutes mes espérances, et votre vengeance est accomplie !

— Bon Dieu, que vous est-il arrivé ? demanda la Bianchina stupéfaite.

— Vous le demandez ! Où est cette bourse que vous m’avez dit venir de vous ? Oserez-vous encore me soutenir ce mensonge ?

— Qu’importe si j’ai menti ou non ? Je ne sais ce que cette bourse est devenue.

— Tu vas mourir ou me la rendre, s’écria Pippo en se jetant sur