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HOMMES D’ÉTAT DE L’ANGLETERRE.

donnent la peine d’étudier le langage tenu dans ces derniers mois par les mécontens, et ils verront bien que c’est le Canada lui-même qui a prononcé sa sentence. En invoquant le principe de l’indépendance canadienne, les mécontens ont enlevé la plus grande partie de leur importance aux points secondaires, et pour ainsi dire techniques, du débat qui s’agite entre eux et nous, par exemple, à la question de savoir s’ils exerçaient un droit constitutionnel en refusant le bill de subsides, pour contraindre le gouvernement anglais à changer la constitution du corps législatif. On doit juger les gouvernemens et les peuples d’après leurs intentions avouées, et non seulement d’après leurs actes. Ici les uns et les autres s’accordent ; on avoue l’intention de se soustraire à la souveraineté de l’Angleterre, et on agit en conséquence. À moins de nous résigner au démembrement de l’empire, avions-nous un autre parti à prendre que de résister à main armée ?

Le sang de ces braves Canadiens qui se sont fait tuer en défendant leurs villages contre nos soldats, retombe donc sur la tête des promoteurs de cette insurrection et parmi nous et sur les rives du Saint-Laurent. Mais, à présent que la force a joué son rôle, les difficultés de gouvernement et de législation commencent. Le problème à résoudre, c’est de rendre par degrés au peuple de ces colonies, lentement et avec sécurité pour tous, les droits et la constitution qui ne leur ont pas suffi, d’affermir notre domination, et de concilier néanmoins la souveraineté de l’Angleterre avec la liberté du sujet ; car, s’il est nécessaire d’exercer pendant quelque temps au Canada un pouvoir absolu, nos intérêts nous défendent de perpétuer un système qui consisterait à maintenir violemment dans l’obéissance toute une population désaffectionnée.

Pour une mission comme celle de lord Durham, les qualités personnelles d’un gouverneur-général, la fermeté du caractère et la sagacité de l’esprit, jointes à une grande modération et à des ménagemens éclairés pour les préjugés et les habitudes des deux races avec lesquelles il doit traiter, peuvent être beaucoup plus utiles que les meilleures lois du monde élaborées à dix-huit cents lieues de distance. C’est donc avec une juste anxiété que la nation se préoccupe du caractère et des qualités de l’homme d’état qui n’a point décliné cette pénible tâche. Lord Durham a l’ame noble, de l’honneur, des opinions sincèrement libérales ; mais ce ne serait pas assez de ces qualités précieuses, s’il n’apprenait encore à déguiser, dans ses nouvelles fonctions, la toute-puissance du dictateur sous l’habile modération du magistrat ; s’il ne secouait, par un vigoureux effort, ses habitudes de