Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 14.djvu/406

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
402
REVUE DES DEUX MONDES.

faire de M. P. Huet un chef d’école, mais à tort. M. Huet ne sera chef d’école que lorsqu’il aura acquis deux qualités indispensables qui lui manquent encore, la science et la précision. M. P. Huet fait de louables efforts pour arriver là. Si, à notre avis, son Automne et son Coup de vent sont des ouvrages incomplets, de chaudes esquisses qui ne satisfont qu’à une des conditions de l’art, nous apprécions comme elle doit l’être sa Grande marée de l’équinoxe. Le travail y est plus consciencieux et plus serré, le vague se dissipe, laisse voir des formes plus arrêtées, et, dans sa tristesse obligée, la couleur est chaude et harmonieuse. C’est le meilleur tableau de M. Huet.

Ce que nous disions tout-à-l’heure à M. Cabat, nous le répéterons à M. Marilhat. Nous l’aimerions mieux simple et vrai, luttant courageusement avec la nature et reproduisant les beaux paysages de l’orient et du midi de la France qu’il a si bien vus, qu’imitateur du Gaspre et de Nicolas Poussin. M. Marilhat est un homme extrêmement habile ; il peint admirablement la lumière chaude du soir, les ombres bleues qui s’allongent sur la plaine, et les masses noires et abondantes de la végétation des pays méridionaux ; qu’il se défie seulement de sa mémoire, qu’il emprunte beaucoup plus à la nature et beaucoup moins aux tableaux de Claude Lorrain.

L’école du paysage historique a peu produit cette année. M. Édouard Bertin a fait défaut. M. Victor Bertin a exposé plusieurs paysages dans sa manière calme, riche, et souvent un peu parée. M. Aligny, peintre de la Mort de Duguesclin, a été moins heureusement inspiré que d’habitude. M. Corot a fait, lui, de notables progrès. Nous n’aimons guère cette mythologie réfugiée dans le paysage et se cachant à l’ombre des bosquets ; cependant le Silène de M. Corot nous a paru posséder au plus haut degré cette naïveté que son auteur cherche si opiniâtrement, et dont il est l’un des plus constans apôtres. Quant à M. Remond, il fait fi de la naïveté. M. Remond a exposé le plus grand paysage du salon ; c’est un peintre de l’école de Philippe Champagne, qui a continué Michallon. M. Remond a une puissante verve d’exécution ; peut-être même abuse-t-il un peu de son adresse et de sa fécondité.

L’école de la nature se soutient avec avantage à côté de l’école de style. Les talens sont nombreux, les noms se pressent ; nous ne pouvons les citer tous. Nous nommerons MM. Watelet, Flers, Hostein, Thuillier, Lapierre, Troyon, Jules André, Rousseau, Debray et Garnerey, dans une nuance du genre, et MM. Gué, Danvin, Debez, Dupressoir, Ricois et Leblanc dans une autre nuance que beaucoup d’autres noms nous paraîtraient tout aussi dignes d’être honorablement mentionnés, MM. Esbrat, Provost-Dumarchais, Barbot, Ulrich et Léon Fleury, par exemple ; et parmi les aquarellistes et les graveurs, MM. Hubert, Girard, Champin, Huet et Himely.

M. Watelet, que M. de Kératry proclamait en 1819 grand maître des eaux et forêts, est encore aujourd’hui ce qu’il était il y a vingt ans. Si donc son succès est moins bruyant, c’est à l’inconstance du public qu’il doit s’en prendre. M. Flers rend finement la nature ; mais il la voit à travers un voile