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SALON DE 1838.

gris. M. Hostein est un peintre plein de science, peu séduisant au premier aspect, mais qui gagne à l’examen, et qu’on finit par aimer. M. Thuillier, paysagiste plein d’avenir, choisit heureusement ses sites ; il sait peindre le soleil et l’air. On se promène dans ses campagnes, qu’on croirait voir dans un miroir, tant est grande la vérité d’imitation ; ses premiers plans seuls manquent peut-être de relief et de chaleur. M. Thuillier n’a qu’un pas à faire pour se placer à la tête de l’école naturaliste. M. Lapierre rappelle beaucoup trop M. Flers, quoique plus vivant et plus chaud. M. Troyon sait renfermer l’espace dans de petites toiles ; sa Fête limousine est un excellent tableau. M. Wickemberg nous a donné une étude d’hiver qu’on prendrait pour un Ostade ; sa glace surtout est peinte avec une admirable finesse. L’Hiver de M. Wickemberg et les Patineurs de M. Lepoitevin sont deux tableaux réussis ; on frissonne rien qu’à les voir. Il ne nous est pas possible de nous occuper de tous les artistes dont tout à l’heure nous avons cité les noms. Beaucoup d’autres dans divers genres réclament notre attention ; nous n’avons parlé en effet ni des peintres de marines, ni des peintres d’intérieur, ni des peintres de genre ou de fantaisie, ni des miniatures, ni des porcelaines, ni des gravures, ni des sculptures. Tout juger, tout analyser est impossible ; ne nous arrêtons donc qu’aux sommités.

M. Gudin, l’une des victimes de la critique, s’est dignement relevé sous ses coups, qui en ont écrasé de plus robustes. Peut-être même, sans la critique, eût-il été moins fort contre les périls d’un trop rapide succès. Son Naufragé est le plus lugubre et le plus vrai de tous les poèmes. M. Gudin a exprimé avec un grand bonheur la résignation qui lutte, l’accablement qui espère ; son ciel, que colore un jour livide, sa mer, d’une infinie profondeur, remplissent l’ame d’une froide et mortelle tristesse. On cherche quelque soulagement, on fouille l’horizon pour y découvrir une voile ; l’horizon est désert. Le Naufragé peut espérer encore, mais nous n’avons plus d’espoir. Nous citerons, après M. Gudin, MM. Perrot, Gilbert et Cazati, qui marchent sur ses traces, et M. Garneray, le peintre du Vengeur. MM. Joyant et Régny peignent, l’un Venise, l’autre Naples, en hommes qui ont bien étudié ces pays. La touche du premier est trop large et trop confiante, celle du second trop maigre et trop diaphane. M. Lepoitevin ne nous console pas de l’absence de M. Isabey. Cependant son Petit Chaperon Rouge est une des plus spirituelles créations de son facile pinceau.

M. Roqueplan est un de ces hardis emprunteurs qui prennent leur bien où ils le trouvent, et qui le trouvent un peu partout. M. Roqueplan s’est d’abord adjugé l’héritage de Bonington, l’admirable faiseur d’esquisses. Il lui a pris sa féconde et vigoureuse palette, son dessin facile et sa touche cavalière. Watteau lui a prêté ses poses vivantes et coquettes, ses tons chatoyans, appliqués par larges plans savamment heurtés, mais qui font ressembler toutes les étoffes à du satin. M. Roqueplan a ensuite puisé sans façon dans tels tableaux de Terburg et de Metzu que nous connaissons, tantôt de belles colonnes de marbre rouge ou noir, veiné de blanc, tantôt de grands fauteuils