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craindre de se rencontrer avec d’autres et de retomber dans un moule devenu commun. Systèmes de compositions et procédés d’exécution étaient bien à eux. Aujourd’hui que peut-on essayer dont on ne soit déjà fatigué ? Que peut-on inventer qui ne l’ait déjà été ? Autrefois toutes les formes étaient nouvelles, toutes les places étaient à prendre ; aujourd’hui toutes les formes sont connues, toutes les places sont prises. De là les efforts trop sentis, la recherche pénible et prétentieuse de tant d’hommes de talent, la singularité, la folie même de quelques-uns. On veut du nouveau, ils cherchent du nouveau ; et cette recherche se fait en côtoyant deux abîmes : l’imitation et le faux. Le faux est facile à reconnaître et à éviter, l’imitation est plus décevante et plus voilée. Elle règne en souveraine, même sur ceux de nos artistes qui se croient le plus indépendans. À la longue tout s’épuise ; en peinture comme en musique, y a-t-il un mode qui soit nouveau, une combinaison de modes qui n’ait été essayée ? M. Delaroche a de hautes prétentions à l’originalité, et derrière lui je vois Van-Dyck, l’école allemande et même l’école italienne. M. Ziegler s’est formé un style où la vigueur se mêle à l’abondance, la correction à la largeur ; mais ce style est-il bien à lui, et ne procède-t-il pas de la manière espagnole ? M. Ingres cherche la ligne de beauté dans la nature, mais plus encore chez Raphaël ; M. Devéria imite franchement Titien, M. Gigoux Paul Véronèse ; et il n’est pas jusqu’à M. Delacroix, le plus vif et le plus fougueux des peintres, qui ne nous rappelle le Tintoret et Rubens. Chez tous ces artistes, l’imitation est souvent fort éloignée : ils ont pris seulement le mode ; ce mode, ils l’ont appliqué à des motifs différens, et néanmoins je le retrouve sans peine en parcourant les salles du vieux Musée. Chez d’autres, l’imitation est plus effrontée ou plus servile : ils ont pris le mode et le motif ; ceux-là n’imitent pas, ils copient. Faut-il proscrire absolument l’imitation ? Nous ne le croyons pas ; mais si vous y avez recours, soyez sur vos gardes : c’est une facile sirène qui vous attire et qui vous noie sous prétexte de vous sauver du naufrage. Si vous imitez, que ce soit comme Gros et Géricault ont imité, l’un l’antique, l’autre Michel-Ange, c’est-à-dire en s’occupant plus encore de la nature que du mode d’imitation choisi ; en consentant à se servir du passé, mais seulement pour aplanir la route de l’avenir ; en s’aidant des efforts de vos devanciers dans l’art pour arriver à des résultats différens de ceux qu’ils ont obtenus ; en prenant l’art où ils l’ont laissé, pour le porter plus loin en avant ; en étudiant les chefs-d’œuvre du passé ; en se pénétrant de la beauté antique et du beau expressif des Italiens, pour arriver à un nouveau genre de perfection, à ce beau moderne que nous avons indiqué, et qui, dans chaque genre, dans la statuaire, dans la grande et la moyenne peinture, et dans le paysage, doit toujours être le but où doit tendre tout artiste jaloux de conquérir l’avenir.


Frédéric Mercey.