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REVUE LITTÉRAIRE DE L’ALLEMAGNE.

geuse, qui reculent devant l’idée de faire des émotions les plus saintes, des sentimens les plus intimes, une marchandise de librairie, sont des causes assez visibles de cette indigence. Sans parler des scrupules qui empêchent l’homme public de divulguer des secrets d’état et d’administration depuis long-temps sans importance, et l’homme privé de mêler à ses aveux des révélations plus qu’involontaires au sujet d’autres personnes, cette indigence peut encore s’expliquer par l’uniformité de la vie commune. Le plus grand nombre des mémoires publiés par des Allemands sont dus à des hommes exceptionnels, tels que Goëthe, pour ne citer que l’exemple le plus célèbre. Encore ces documens sont-ils souvent incomplets, et nous pouvons quelquefois douter avec raison si l’auteur n’a pas déguisé, par prudence ou par fantaisie d’artiste, la réalité sous une broderie poétique.

Les mémoires de M. Varnhagen sont naturellement incomplets, comme ceux de tout homme vivant. Les gens qui connaissent l’auteur personnellement ou par ses écrits, n’en seront pas étonnés, s’ils se rappellent sa réserve diplomatique, son urbanité, sa bienveillance, la douce et calme harmonie de ses sentimens et de ses goûts littéraires. Les souvenirs de sa vie n’arrivent pas à une date beaucoup plus récente que la paix de 1815, et, quoiqu’ils comprennent toute la jeunesse de l’auteur, on n’y trouve guère que l’histoire de ses études diverses. M. Varnhagen a commencé par rappeler, comme chose sans conséquence, par amour de l’exactitude sans doute, que sa famille est d’une noblesse assez ancienne, ce qui ne nuit pas encore partout. Quelques membres de cette noblesse, voyant que depuis le XVIIe siècle les partages de famille dérangeaient leurs affaires, et que l’ancienne manière de relever leur fortune ne profitait plus qu’aux souverains puissans, tournèrent sagement leurs vues d’un autre côté et prirent en quelque sorte le parti de se séculariser. C’est ainsi que l’un des ancêtres de l’auteur se fit médecin, et que lui-même fut, si je ne me trompe, destiné à une profession semblable. Le récit de ses premières années ne manque ni de charme ni de naïveté ; néanmoins ces qualités s’y montreraient davantage si M. Varnhagen n’avait adopté une méthode de travail qui n’est que l’abus d’une excellente chose. Envoyé à Berlin pour y suivre les études qui devaient servir de base à son avenir, il s’appliqua avec ardeur à la littérature, dont le côté plastique le préoccupa surtout ; cela ressort à chaque ligne de ses descriptions complaisantes. Polir des hémistiches, cadencer et varier des rhythmes, inventer de nouvelles strophes, raviver des combinaisons oubliées depuis l’antiquité, telle semblerait avoir été à cette époque son occupation favorite. Il quitta Berlin pour l’université de Halle, et là commença pour lui une existence curieuse que je voudrais pouvoir dérouler en entier, parce qu’elle est peut-être la clé de la nationalité et du caractère des hommes d’élite en Allemagne. Tous ceux qui ont été jeunes en ce temps-là et bon nombre de ceux qui le sont aujourd’hui doivent se retrouver avec émotion dans cette partie du livre. Se précipitant avec un respectueux ravissement vers toutes les sources de savoir que lui ouvrait la riche université, M. Varnhagen voulut satisfaire à la fois l’imagination et l’intelligence, courir