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s’opposer à la conversion des rentes par raison d’inopportunité, vous qui proclamez l’inopportunité de votre système tout entier et de vos convictions les plus intimes !

La conscience de M. Guizot s’est cependant effrayée des difficultés de cette réunion et des embarras de cet accord sur tant de questions qui composent, à cette heure, l’ensemble des affaires. Voilà pourquoi, après avoir écarté toutes les questions matérielles, les canaux, les chemins de fer, les sociétés commerciales, il a tout réduit à la question de l’intervention et de la réforme électorale. M. Guizot est un homme trop instruit pour ne pas savoir que la question d’Orient n’a jamais été plus délicate ; que la proposition du roi de Hollande, d’accéder aux vingt-quatre articles, et l’aspect que prend la conférence de Londres, peuvent donner lieu, et prochainement, à prendre une résolution décisive. N’en déplaise à sa prévoyance, il n’est pas qu’une question au dehors, comme il le dit ; les questions se pressent au contraire. L’Allemagne est en feu, depuis la frontière du duché de Posen jusqu’aux limites des trois évêchés du Rhin, à deux pas de notre propre frontière. C’est là une question faite, à elle seule, pour reclasser tous les partis que M. Guizot s’efforce de mêler et de confondre. M. Barrot ne peut voir les affaires d’Allemagne comme les voit M. de Broglie, M. Thiers ne peut les envisager comme M. Berryer. Il y a là la question catholique, la question de propagande, et la question du principe de non-intervention, tel qu’il a été fondé en 1830 par M. Molé. M. Guizot aura beau faire, beau cacher de ses mains officieuses les visages de ses amis ; au premier mot qui se prononcera sur ces affaires, chaque physionomie trahira des sentimens opposés, et tout l’édifice construit par M. Guizot tombera en poussière sur la tête de ceux qu’il abrite.

Le mieux serait de dire les choses comme elles sont. Il y a de grandes et de nombreuses affaires en discussion, et les hommes qui sont appelés à les discuter, M. Guizot lui-même, sont meilleurs qu’il ne les fait dans son écrit. Ils sont surtout plus consciencieux, plus convaincus de l’excellence de leurs principes et de la nécessité de les appliquer au plus vite, car chacun compte sur ses vues pour régénérer le pays, qui nous semble en assez bon état cependant. Et la preuve de l’ardeur de chacun de ces hommes à arriver au but qu’il se propose, c’est le courage qu’ils ont eu de se réunir, de surmonter leur aversion les uns pour les autres, le dédain qu’inspirent à chacun d’eux les principes de ses anciens adversaires, aujourd’hui ses amis ; c’est la contrainte où ils vivent, eux habitués à se moquer spirituellement les uns des autres, avec un abandon que, pour notre part, nous avons toujours trouvé peu digne d’hommes d’état. Si M. Thiers ne désirait pas si vivement l’intervention en Espagne, il eût attendu patiemment que le pouvoir vint à lui ; et, au lieu de tendre les mains à M. Guizot, il l’eût reconduit poliment jusqu’au bas de son escalier, comme il l’a fait l’année dernière. Si M. Barrot n’avait l’espérance de rapprocher le moment où il pourra exécuter ses plans de réforme