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on a de peine à faire abnégation de ses propres vues, autant il est facile de faire le sacrifice des opinions d’autrui.

Et cependant M. Guizot revendique, pour le cabinet du 6 septembre, dont il faisait partie avec M. Molé, l’amnistie des prisonniers de Ham ! M. Guizot veut bien avoir amnistié les auteurs des ordonnances de juillet, mais il se défend d’avoir jamais participé à l’amnistie des hommes de juillet, égarés par les passions populaires. Qu’en dira M. Odilon Barrot que M. Guizot place, dans sa liste ministérielle, entre lui et M. de Broglie ?

Nous sommes fâchés de trouver moins de bonne foi et de sincérité dans un autre grief de M. Guizot contre le ministère, grief tout personnel à M. Molé. M. Guizot l’accuse d’avoir pris peu de part au procès d’avril, et de s’être retiré de la cour des pairs au moment où elle s’y engageait à fond. M. Guizot sait bien que M. Molé était d’avis de la disjonction des causes, car il ne croyait pas à la possibilité de juger tant d’accusés à la fois. Quand la cour des pairs arrêta que les causes seraient séparées, M. Molé reprit sa place au banc des juges ; ce fut précisément alors que la chambre des pairs s’engagea à fond dans ce procès. Il n’est donc pas juste de dire que les partis purent recevoir, avec joie et comme un succès d’amour-propre, l’amnistie des mains de M. Molé. Les partis l’eussent reçue de M. Guizot, s’il eût voulu l’accorder ; mais en réalité, ils n’ont cru la recevoir que des mains du roi, et la suite l’a fait voir, puisque les fatales et criminelles passions qui s’attaquaient à ses jours semblent avoir été désarmées. Et c’est ici le lieu de parler de l’état de la France, dont M. Guizot fait un tableau qui manque de vérité.

Il n’est pas vrai que le pays éprouve un malaise, que la foi en ait disparu, que le mal s’accroisse chaque jour, que tout soit sombre autour de nous, et que le pouvoir fortifie l’opposition révolutionnaire systématiquement. Ici le langage de M. Guizot est enveloppé et obscur, non pas que les termes lui manquent, mais parce qu’il sent bien toute la portée de ce qu’il va dire, et qu’il craint d’être trop compris. « Les situations sociales se rapetissent, dit-il ; les intérêts deviennent de plus en plus étroits et inférieurs. Il y a contraste entre la grandeur des choses et la médiocrité des personnes… La politique du gouvernement fait incessamment descendre les sentimens et les idées au niveau des plus étroites situations. On exploite, on seconde même ce qu’il y a de petit, de subalterne, dans notre état social, en repoussant ce qu’il y a d’élevé et de fort. »

Tout à l’heure nous avons vu que M. Guizot étendait un voile sur les dissonances des opinions alliées contre le ministère, à présent nous le voyons tirer un coin de ce voile sur lui-même, et en couvrir la nudité grossière de son orgueil et de son ambition. Quand on examine ce qui se passe autour de nous, les affaires entravées à plaisir, les projets de loi d’utilité publique arrêtés de toutes parts, les vues les plus désintéressées pour le bien du pays, qu’on s’efforce de frapper de stérilité, par une opposition étroite et systématique, il est bien