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le batailleur ! Orio, le héros de la dernière guerre ! Orio fuyant ma rencontre !

Il descendit lentement l’escalier jusqu’à la dernière marche, curieux de voir si Orio allait revenir à lui muni de sa dague, et désirant au fond qu’il ne le fît pas ; car la raison ayant repris le dessus, il sentait la folie et la déloyauté de son premier mouvement. Il se trouva dans la galerie inférieure ; il y vit Orio au milieu de plusieurs valets, affectant de leur donner des ordres, comme s’il eût été averti, par un souvenir subit, de quelque oubli, et comme s’il fût revenu sur ses pas pour le réparer. Il avait repris si vite tout son empire sur lui-même, il paraissait si calme, si dégagé, qu’Ezzelin douta un instant si sa préoccupation ne l’avait pas empêché de le voir dans l’escalier : mais cela était fort peu probable. Néanmoins il se promena quelques instans au bout de la galerie, ayant toujours l’œil sur lui, et il le vit sortir avec ses valets par une issue opposée.

Ne songeant plus à sa vengeance et se reprochant même d’en avoir eu la pensée, mais voulant à toute force éclaircir ses soupçons, Ezzelin retourna à la fête, et bientôt il vit son rival rentrer avec un groupe de conviés. Il avait sa dague à la ceinture, et cette circonstance révéla à Ezzelin l’attention qu’Orio avait faite à son geste dans l’escalier. — Eh quoi ! pensa-t il, il a cru que j’avais le dessein de l’assassiner ? Il n’a eu ni assez d’estime pour moi, ni assez de calme et de présence d’esprit pour me montrer que la partie n’était pas égale, et sa frayeur a été si subite, si aveugle, qu’il n’a pas pris le temps d’apercevoir le mouvement que j’ai fait pour rentrer ma dague dans le fourreau, en voyant qu’il n’avait pas la sienne ! Cet homme n’a pas le cœur d’un noble, et je serais bien étonné si quelque lâcheté secrète ou quelque crime inconnu n’avait pas déjà flétri en lui le principe de l’honneur et le sentiment du courage.

Dès ce moment la fête devint encore plus insupportable à Ezzelin. Il remarqua d’ailleurs que tout en causant avec Giovanna, sa sœur avait laissé Orio s’approcher d’elle et qu’elle répondait à ses questions oiseuses et frivoles avec une timidité de moins en moins hautaine. Orio pensait réellement que son rival avait des projets de vengeance, il voulait voir si Argiria était dans la confidence, et, comptant surprendre ce secret dans le maintien candide de la jeune fille, il la surveillait de près et l’obsédait de ses impertinentes cajoleries, fixant sur elle ce regard de faucon qui, disait-on, avait, sur toutes les femmes, un pouvoir magique. Argiria, élevée dans la retraite, enfant plein de noblesse et de pureté, ne comprenait rien à l’émotion inconnue que