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jaillir une armée, source vive qui ne tarit jamais dans son sein. L’Europe est condamnée à vivre entre deux peurs : celle de la révolution et celle de la France ; aussi quel bonheur est le sien lorsqu’on la débarrasse de l’une et de l’autre ! bon temps auquel elle aurait tort de se fier !

Défranciser la guerre d’Espagne ! dans ce mot est toute la diplomatie de cette époque, et les mauvais vouloirs de l’Autriche, et cette ridicule combinaison d’une régence déférée au roi de Naples comme héritier présomptif du trône d’Espagne, et ces refus d’accréditer des ministres près du gouvernement constitué à Madrid, à l’entrée de l’armée française, et cette prétention de faire tomber en conférence générale, et dans un abîme de protocoles, tous les actes du cabinet des Tuileries, au-delà des Pyrénées. Défranciser la guerre ! dans ce mot est aussi l’honneur du ministère de M. de Châteaubriand. Cette expédition sur laquelle nous allons bientôt présenter le complément de notre pensée, c’est lui qui l’a faite au moins nationale. Il a su rendre impuissantes les jalousies honteuses de l’Autriche, aussi bien que les loquaces colères de l’Angleterre, en même temps qu’il a constamment dégagé la France de la solidarité dans laquelle on entendait envelopper son action, pour lui escamoter sa gloire.

Celle-ci est modeste sans doute pour la nation des grandes batailles, mais elle a quelque chose de pur et de désintéressé dont un grand peuple doit s’honorer à l’égal de son courage. Cette expédition, d’ailleurs, conçue d’une manière plus systématique et plus arrêtée, exécutée surtout vis-à-vis d’un parti, avec la force, l’indépendance et l’habileté dont on venait de faire preuve devant l’Europe, aurait donné à la maison de Bourbon la seule attitude politique qui pût nationaliser son principe, et peut-être changer son avenir et celui du monde.

C’est ici qu’une dissidence profonde nous sépare de M. de Châteaubriand.

Comme lui et d’après lui, nous avons constaté la nécessité pour la France de briser la révolution espagnole, devenue incompatible avec l’existence de son propre gouvernement. Nous avons dit qu’au commencement de 1823 la guerre était légitime en principe, utile en ce qu’elle nous émancipait de l’Europe, en nous rendant une armée ; il reste à montrer qu’elle aurait pu être éminemment politique.

M. de Châteaubriand comprenait depuis long-temps, d’après les vues les plus élevées et les plus patriotiques, de quelle utilité nous serait cette guerre pour relever notre crédit au dehors ; mais il ne