Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 14.djvu/528

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
524
REVUE DES DEUX MONDES.

valeur du génie et du talent, puisqu’ils suffisent pour balancer toutes les circonstances favorables de la nature et du sol. Pourtant Mohammed-Ali persiste dans son système de monopole industriel. On ne peut établir en Égypte une manufacture, une usine, installer un travail industriel quelconque, sans son approbation expresse ou tacite. Convaincu de la puissance du génie et des capitaux, le pacha semble en redouter la concurrence, ou, du moins, il veut en soumettre l’action et le développement à sa direction unitaire. On dirait qu’il a peur qu’en laissant les Européens pratiquer l’industrie en Égypte, ils ne se montrent supérieurs à lui, et qu’ils n’arrivent par conséquent à miner sa puissance politique, fondée sur l’industrie agricole et manufacturière.

Nous voulons bien croire que Mohammed-Ali tire tout le parti possible des ressources industrielles de l’Égypte, puisqu’il y est lui-même le plus intéressé ; nous reconnaissons qu’il serait difficile d’avoir plus d’activité, d’intelligence et de pénétration, plus d’habileté pour connaître et diriger les hommes, que n’en montre le pacha à un âge où bien d’autres ont donné leur démission des affaires : mais il faut dire aussi que, malgré toutes ces bonnes qualités, Mohammed-Ali est seul, qu’il ne peut tout voir et tout faire par lui-même ; il faut enfin reconnaître que le monopole industriel empêche l’apport des capitaux européens en Égypte, et effraie les hommes qui voudraient fonder des établissemens durables dans le pays. Les capitaux européens ne font, pour ainsi dire, qu’effleurer l’Égypte, nais n’y entrent pas, n’y séjournent pas. Si l’industrie était libre sur les bords du Nil, si la constitution politique du pays offrait de la stabilité et des garanties au travail, nul doute que les capitaux d’Occident, dont l’emploi et le maniement resterait aux mains européennes, ne vinssent chercher dans cette contrée favorisée du ciel des bénéfices qu’ils ne pourraient trouver nulle autre part sur le globe. Il est certain que des manufactures de toiles de coton, en Égypte, fondées et dirigées par des Européens, au milieu des champs de cotonniers, et alimentées par des capitaux suffisans, donneraient d’abord des profits énormes ; car 1o  on économiserait les frais de transport du coton d’Égypte en Europe, et des tissus d’Europe en Égypte, commissions, assurances maritimes, agios, etc. ; 2o  on aurait la main-d’œuvre à bien meilleur marché (ce qui n’a pas lieu en Amérique) ; et, en supposant même que l’on fit venir des ouvriers européens, le même salaire que celui qu’ils reçoivent en Occident représenterait une valeur double, puisque tous les objets de première consommation sont moitié moins chers[1] ; 3o  on serait en position d’approvisionner toute la partie

  1. Prix des comestibles au Caire en 1835 :

    1 Paire de poulets 
    »  fr. 38 cent.
    1 Oie 
    » 88
    1 Canard 
    1 »
    1 Dinde 
    3 60
    1 Oke de bœuf (2 livres 1/2) 
    » 50
    1 Rotle de mouton (1 livre 2 onces) 
    » 23