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CHAMBRE DES DÉPUTÉS.

une réaction passionnée contre le centre droit, mais une inclinaison vers le centre gauche. Par l’amnistie et la dissolution, ce mouvement devenait plus sensible ; les élections devaient le continuer sans le précipiter. En convoquant les colléges électoraux, le ministère devait sans doute à toutes les opinions l’impartiale observation des lois, mais il ne lui était pas défendu de laisser voir ses sympathies pour les principes d’ordre et de liberté représentés par le centre gauche ; il eût imprimé ainsi aux élections une direction politique, et il eût provoqué l’utile intervention de quelques élémens et de quelques hommes nouveaux.

Il y a donc eu cet inconvénient qu’une mesure aussi décisive que la dissolution, dont l’importance était encore rehaussée par l’amnistie, n’a pas produit une chambre assez renouvelée. Les partis parlementaires ont reparu à peu près dans les mêmes proportions, et avec quelques ressentimens de plus ; le centre droit, malgré les ménagemens dont il a été l’objet, non-seulement a retenu, mais exagéré ses rancunes ; une partie du centre gauche, étonnée de la tiédeur du ministère, a passé de la défiance à l’irritation : enfin les instincts heureux qui poussent aujourd’hui la France dans les voies du travail et des améliorations sociales, et lui ont inspiré le complet oubli des anciennes querelles, n’ont pas suffisamment prévalu dans les élections.

Il y aura bientôt cinq mois que le ministère se trouve en face d’une chambre non pas hostile, mais indifférente, qui ne veut pas le renverser, mais ne l’adopte pas, qui en masse n’a pas de passions, mais voit s’agiter dans son sein quelques hommes passionnés, dont les mouvemens et les votes trompent toutes prévisions, et dont l’esprit est encore à naître.

Cette situation singulière se prolongera probablement jusqu’à la fin de la première session. Il ne faudra pas moins d’une année pour tirer de la chambre nouvelle une majorité politique ; mais ce temps ne sera pas tout-à-fait perdu : durant cet intervalle, les partis et les hommes continueront de céder au mouvement de transformation qui les entraîne et les maîtrise.

Le fait le plus saillant qui frappe les regards, c’est l’abdication complète des passions bruyantes qui, après la révolution de 1830, ont agité le pays durant cinq ans. Tout s’est évanoui ; on semble avoir perdu même le souvenir des scènes les plus vives ; on est entré dans une phase nouvelle ; on s’occupe d’affaires ; on vit pour les intérêts positifs, et celui qui viendrait aujourd’hui parler la langue politique des premières années de 1830, exciterait cet étonnement que provoque l’apparition d’un vieux costume au milieu des modes