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POLITIQUE DE LA FRANCE EN AFRIQUE.

en Afrique ; nous y avons été braves et absurdes. Cette conduite a étonné les indigènes. Voyant que nous ne prenions pas le pouvoir, chacun a pensé que nous ne voulions pas de l’Algérie, et que nous l’abandonnerions. Alors les Turcs ont espéré s’en ressaisir, et les chefs indigènes s’en emparer. Achmet a réuni autour de lui les premiers dans l’est, et Abd-el-Kader s’est élevé parmi les seconds dans l’ouest. De là des difficultés qui n’existaient pas le premier jour, que nous nous sommes créées par ignorance, et que la prise de Constantine a commencé à dissiper. Ce fait d’armes a détruit le parti turc et rétabli l’opinion que nous entendions rester en Afrique. Un coup pareil, frappé sur Abd-el-Kader, détruira le parti indigène, et achèvera de convaincre les populations. Ce jour-là le plus grand obstacle à l’établissement de notre domination en Afrique, l’opinion que nous n’y resterons pas, sera écarté ; car, encore une fois, les populations sont accoutumées à reconnaître des maîtres, et la question pour elles n’a jamais été, depuis sept ans, que de savoir quels ils seraient. Ceux-là le seront qui, le pouvant, l’oseront, et nous seuls en Afrique le pouvons ; il reste donc que nous l’osions. Le succès, je le répète, est beaucoup moins difficile qu’on ne le pense, pourvu qu’on sache se borner et ne vouloir en Afrique qu’une autorité raisonnable outre que les tribus y sont accoutumées, elles en ont besoin ; c’est entre elles l’élément de paix et de justice. Supprimez cette autorité supérieure, il n’y a plus d’issue aux contestations qui s’élèvent de l’une à l’autre que la guerre, c’est-à-dire la force, la force dont personne n’accepte le jugement, et qui laisse après elle la haine et le désir de la vengeance dans la partie condamnée. C’est surtout ce besoin, que les tribus sentent en Afrique comme les familles en Europe, qui a rendu possible la domination des Turcs ; il finirait par attacher à la nôtre, qui serait infiniment plus équitable et plus douce. Qu’ont demandé à M. de Mirbek, qui vient de les visiter, les tribus de Bone à la Calle ? Justice, c’est-à-dire règlement de leurs différends. En échange de cette justice, elles n’ont pas fait difficulté de lui payer l’impôt ; car c’est à ce double signe que se reconnaît le souverain dans les idées de tous les peuples : il rend la justice et on lui paie l’impôt. Or, cette autorité, je ne crains pas de le dire, quelque paradoxale que puisse, au premier coup d’œil, paraître cette opinion, une force étrangère se l’appropriera en définitive plus facilement qu’une force indigène. Avant les Turcs, jamais aucune force arabe n’avait pu parvenir à soumettre d’une manière durable toutes les tribus arabes. Les Turcs sont venus et l’ont pu. Pourquoi ? Parce