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et que le faire ce serait non-seulement manquer à nos promesses et nous déshonorer à leurs yeux, mais livrer à des vengeances qu’aucun traité ne pourrait empêcher tous les indigènes maures et arabes qui se sont compromis pour nous. Il ne faut pas le rétablir, en troisième lieu, parce qu’Achmet est un Turc, parce que Constantine est voisine de Tunis, parce que ce serait ainsi se ménager, un jour ou un autre, une guerre avec Tunis et Achmet réunis et sourdement appuyés par la Porte et nos autres ennemis. Il ne faut pas le faire, enfin, parce qu’Achmet renversé est dépouillé de son prestige, et ne pourrait plus, sans le secours de nos armes, rétablir l’obéissance des tribus qui le haïssent. Or, si nous devons nous battre, il vaut mieux que ce soit pour nous que pour Achmet. Qu’Achmet puisse un jour devenir entre nos mains un instrument utile, c’est possible ; mais si nous nous en servons jamais quelque part, que ce soit loin de Tunis, loin de Constantine qu’il a opprimée, loin des lieux où il a eu l’audace de nous résister, et qui ont vu sa défaite et sa fuite.

Reste donc l’institution d’un bey indigène. Mais on ne fait pas des beys à volonté en Afrique ; le passé le prouve, et M. Desjobert l’a parfaitement démontré. Il faut, pour faire un bey, trouver un homme à qui il ne manque plus que l’investiture pour l’être. Or, cet homme existe-t-il dans la province de Constantine ? Non, que nous sachions. Il faudra donc que la France fasse tous les frais de son établissement, qu’elle se batte pour lui, qu’elle lui donne des subsides, qu’elle lui laisse une garnison. Mais alors où est l’économie d’hommes et d’argent ? D’ailleurs sera-t-il Arabe, ce futur bey ? Mais alors comment ne pas craindre un rapprochement entre lui et l’émir ? Sera-t-il Kabaïle ? Sera-ce le brave Ben-Aïssa, qui apparemment n’est pas pour rien à Alger ? Mais, quoique les principales masses de la population kabaïle soient dans la province de Constantine, ce sont des tribus arabes qui entourent à une grande profondeur sa capitale. Or, comment accepteront-elles un chef kabaïle ? Avec quoi se fera-t-il reconnaître et accepter ? Toujours avec nos forces et notre argent. Si nous avons un chef kabaïle à notre disposition, gardons-le précieusement pour agir sur ceux de sa race, pour établir entre elles et nous des relations. N’allons pas en faire, contre vents et marées, un bey de Constantine. Et puis, dans ces deux hypothèses, serait-il prudent de livrer à des mains indigènes Constantine, si forte par sa position et rendue imprenable par les travaux que nous y avons exécutés ? Avons-nous donc trouvé sa prise si facile, qu’il nous faille absolument nous ménager l’occasion de nous en emparer une seconde fois, par un siége en règle