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L’USCOQUE.

quiète, comme un rayon flottant de la lune, elle se glisse dans les détours du château. Elle trompe la vigilance des sentinelles qui gardent la porte de la tour habitée par Orio. Elle sait que Naama est absent ! Naama, le seul gardien qui ne s’endort jamais à son poste, le seul qui ne se laisse séduire par les promesses, ni gagner par les prières, ni intimider par les menaces.

Elle est arrivée à la porte d’Orio, sans éveiller le moindre écho sur les pavés sonores, sans effleurer de son voile les murailles indiscrètes. Elle prête l’oreille, son cœur palpitant brise sa poitrine ; mais elle retient son souffle. La porte d’Orio est mieux gardée par la peur qu’il inspire que par une légion de soldats. Giovanna écoute, prête à s’enfuir au moindre bruit. La voix de Soranzo s’élève, sinistre dans le silence et dans les ténèbres. La crainte de se trahir par la fuite enchaîne la Vénitienne tremblante au seuil de l’appartement conjugal. Soranzo est en proie aux fantômes du sommeil. Il parle avec agitation, avec fureur dans le délire des songes. Ses paroles entrecoupées ont-elles révélé quelque affreux mystère ? Giovanna s’enfuit épouvantée, elle retourne à sa chambre et tombe consternée, demi-morte, sur son divan. Elle y reste jusqu’au jour, perdue dans des rêves sinistres.

Cependant une ligne incertaine encore traverse le linceul immense de la nuit et commence à séparer au loin le ciel et la mer. Orio, plus calme, s’est soulevé sur son chevet. Il se débat encore contre les visions de la fièvre, mais sa volonté les surmonte, et l’aube va les chasser. Il ressaisit peu à peu ses souvenirs, il embrasse enfin la réalité. Il appelle Naam ; la mandore de la jeune Arabe, suspendue à la muraille, répond seule par une vibration mélancolique à la voix du maître.

Orio repousse ses pesantes courtines, pose ses pieds sur le tapis, promène ses regards inquiets autour de l’appartement où tremble à peine la lueur du matin. La trappe est toujours baissée, Naam n’est pas de retour.

Il ne peut résister à l’inquiétude, il essaie ses forces, il soulève la trappe, il descend quelques marches ; il sent que son énergie revient avec l’activité. Il arrive à l’issue des galeries intérieures du rocher, là où Naam a laissé une partie de ses vêtemens et l’échelle de corde attachée encore aux crampons de fer. Il interroge les flots avec anxiété. Les angles du roc lui cachent le côté qu’il voudrait voir. Il voudrait descendre l’échelle, mais sa main blessée ne pourrait le soutenir dans cette périlleuse traversée. D’ailleurs le jour augmente, et