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Orio céda ; Naam était le seul être qui pût faire céder Orio quelquefois.

Giovanna est étendue raide et sans mouvement sur son divan. Ses joues sont livides, ses lèvres froides, sa respiration est brûlante. Elle se ranime cependant à la voix de Naam qui la presse de tendres questions, et qui couvre ses mains de baisers fraternels. Ma sœur Zoana, lui dit la jeune Arabe dans cette langue que Giovanna n’entend pas, prends courage, ne t’abandonne pas ainsi à la douleur. Ton époux revient vers toi, et jamais ta sœur Naam ne cherchera à te ravir sa tendresse. Le prophète l’ordonne ainsi, et jamais, parmi les cent femmes dont je fus la plus aimée, il n’y en eut une seule qui pût se plaindre avec quelque raison de la préférence du maître pour moi. Naam a toujours eu l’ame généreuse, et de même qu’on a respecté ses droits sur la terre des croyans, de même elle respecte ceux d’autrui sur la terre des chrétiens. Allons, relève encore tes cheveux, et revêts tes plus beaux ornemens : l’amour de l’homme n’est qu’orgueil, et son ardeur se rallume quand la femme prend soin de lui paraître belle. Essuie tes larmes, les larmes nuisent à l’éclat des yeux. Si tu me confiais le soin de peindre tes sourcils à la turque, et de draper ton voile sur tes épaules à la manière perse, sans nul doute le désir d’Orio retournerait vers toi. Voici Orio, prends ton luth, je vais brûler des parfums dans ta chambre.

Giovanna ne comprend pas ces discours naïfs. Mais la douce harmonie de la voix arabe, et l’air tendre et compatissant de l’esclave lui rendent un peu de courage. Elle ne comprend pas non plus la grandeur d’ame de sa rivale, car elle persiste à la prendre pour un jeune homme ; mais elle n’en est pas moins touchée de son affection et s’efforce de l’en récompenser en secouant son abattement. Orio entre, Naam veut se retirer. Mais Orio lui commande de rester. Il craint, en se livrant à un reste d’amour pour Giovanna, d’encourager ses reproches ou de réveiller ses espérances. Néanmoins il la ménage encore. Elle est toute-puissante auprès de Morosini. Orio la craint, et à cause de cela, bien qu’il admire sa douceur et sa beauté, il ne peut se défendre de la haïr.

Mais cette fois Giovanna n’est ni craintive, ni suppliante. Elle n’est que plus triste et plus malade que les autres jours. — Orio, lui dit-elle, je pense que vous auriez dû, malgré le refus du comte Ezzelin, le faire escorter jusqu’à la haute mer. Je crains qu’il ne lui arrive malheur. De funestes présages m’ont assiégée depuis deux jours. Ne riez pas des avertissemens mystérieux de la Providence. Faites vo-