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L’USCOQUE.

d’un mot et d’un geste, les réduire au silence au plus fort de leur colère, parut s’apaiser et se contenter du serment de Hussein. Hussein refusa, à la vérité, de jurer par Allah et le prophète qu’il fût certain de la mort d’Ezzelin, car il ne l’avait pas vu jeter à la mer, mais il jura que, si on lui avait conservé la vie, il n’était pas complice de cette trahison ; il jura aussi qu’il s’assurerait de la vérité et qu’il châtierait sévèrement quiconque aurait désobéi à l’Uscoque. Il prononça ce mot en italien ; et en portant les deux mains sur sa tête, il s’inclina jusqu’à terre devant Orio.

Lui, l’Uscoque ! ô Giovanna ! Giovanna ! comment ne tombes-tu pas morte, en voyant que cet infâme égorgeur, traître à sa patrie, insatiable larron et meurtrier féroce, est ton époux, l’homme que tu as tant aimé !

Giovanna se parle ainsi à elle-même. Peut-être parle-t-elle tout haut, tant elle méprise à cette heure le danger de mourir, tant elle a perdu le sentiment de son être, absorbée qu’elle est tout entière dans cette scène d’épouvante et de dégoût. Les brigands étaient si animés par la dispute, qu’ils n’auraient pu l’entendre. Ils parlèrent longtemps encore. Giovanna ne les entendit plus, ses bras se tordirent, son cou se gonfla, et ses yeux se renversèrent dans leur orbite. Elle tomba sur le carreau et perdit le sentiment de son infortune. Les pirates, ayant fait leurs dernières conventions avec Orio, étaient repartis. Orio se jeta sur son lit et s’endormit brisé de fatigue.

Naam, après avoir pansé sa blessure, veille auprès de lui, couchée à terre sur une natte. Il y a bien long-temps que Naam n’a goûté un paisible sommeil. Elle porte, dans les évènemens les plus terribles et dans les plus rudes fatigues de la vie, le calme et la santé d’un esprit et d’un corps fortement trempés. Lorsqu’elle s’assoupit, un songe transporte quelquefois son imagination au temps où, bercée, dans un hamac de damas plus blanc que la neige, par quatre jeunes esclaves nubiennes, à la peau noire comme la nuit, aux dents blanches, à l’air franc et joyeux, elle s’endormait aux sons de la mandore dans la fumée du benjoin, dans les langueurs d’une oisiveté voluptueuse, aux sourires de Phingari, la reine des nuits orientales, aux caresses de la brise qui effeuillait mollement sur son sein les fleurs de sa chevelure. Ces temps ne sont plus. Les pieds délicats de Naam foulent maintenant le gravier amer des rivages et les pointes déchirantes des récifs. Ses mains effilées se sont endurcies aux maniemens du gouvernail et des cordages. Le souffle desséchant des vents et l’air âpre de la mer ont hâlé cette peau que l’on pouvait com-