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L’USCOQUE.

porter lui-même l’incendie dans la chambre de Giovanna. Il entend les cris des sentinelles qui viennent d’apercevoir la clarté sinistre, et qui donnent l’alarme. On peut arriver à temps encore pour pénétrer auprès de Giovanna, et pour voir qu’elle a péri par le fer. Orio prévient ce danger. Il se précipite, un tison enflammé à la main, dans l’appartement conjugal ; mais, en voyant Naam debout devant le lit sanglant, il recule épouvanté comme à l’aspect d’un spectre. Puis une pensée infernale traverse son ame maudite. Tous ses complices sont écartés, tous ses ennemis sont anéantis. Le seul confident qui lui reste, c’est Naam. Elle seule désormais pourra révéler par quels forfaits ses richesses furent acquises et conservées. Un dernier effort de volonté, un dernier coup de poignard rendrait Orio maître absolu, possesseur unique de ses secrets. Il hésite, mais Naam se retourne et le regarde. Soit qu’elle ait pressenti son dessein, soit que le meurtre de Giovanna ait empreint d’indignation et de reproche son front livide et son regard sombre, ce regard exerce sur Orio une fascination magique ; son ame conserve le désir du mal, mais elle n’en a plus la force. Orio a compris en cet instant que Naam est un être plus fort que lui, et que sa destinée ne lui appartient pas, comme celle de ses autres victimes. Orio est saisi d’une peur superstitieuse. Il tremble comme un homme surpris par le mauvais œil. Il fait du moins un effort pour achever d’anéantir Giovanna, et, jetant son brandon sur le lit : — Que faites-vous ici ? dit-il d’un air farouche, à Naam. Ne vous avais-je pas ordonné de sonner la cloche ? Allez, obéissez ! Voyez ! le feu nous poursuit ! — Orio, dit Naam, sans se déranger et sans quitter la main du cadavre, qu’elle a prise dans les siennes, pourquoi as-tu tué ta femme ? C’est un grand crime que tu as commis ! Je te croyais plus qu’un homme, et je vois maintenant que tu es un homme comme les autres, capable de bien et de mal ! Comment te respecterais-je maintenant que je sais qu’on doit te craindre, Orio ? Ceci est une chose que je ne pourrai jamais oublier, et tout mon amour pour toi ne me suggère rien à cette heure qui puisse l’excuser. Plût à Dieu que tu ne l’eusses point fait, et que je ne l’eusse point vu ! Je ne sais si ton Dieu te le pardonnera, mais à coup sûr Allah maudit l’homme qui tue sa femme chaste et fidèle.

— Sortez d’ici, s’écrie Soranzo, qui craint d’être surpris en ce lieu et durant cette querelle. Faites ce que je vous commande, et taisez-vous, ou craignez pour vous-même. — Naam le regarda fixement, et, lui montrant les flammes qui s’élancent en gerbe par la porte : — Celui de nous deux qui traversera ceci avec le plus de calme, lui dit-elle,