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LÉOPOLD ROBERT.

vêtement. Appliquées avec cette rigueur, les études anatomiques ne seraient qu’un ridicule enfantillage. Mais, entre l’application littérale et l’application sensée de l’anatomie, il y a un intervalle immense, et si le peintre n’est pas obligé de montrer tout ce qu’il sait, il est obligé de savoir beaucoup pour ne montrer que ce qu’il faut. Si Robert, au lieu de se moquer des études anatomiques, eût consenti à examiner attentivement tous les élémens dont se compose le corps humain, sauf à ne traduire sur la toile que les élémens qui appartiennent à la peinture, l’Improvisateur napolitain et la Madone de l’Arc, au lieu de choquer le goût par leur incorrection, résisteraient à l’épreuve sévère de l’analyse. Sans indiquer les divisions myologiques de la poitrine et des membres, il pouvait, il devait du moins marquer nettement la succession des plans qui traduisent cette division. Or, c’est précisément ce qu’il n’a pas fait. Livré tout entier à l’étude des scènes qu’il voulait reproduire, il a négligé d’apprendre de quelles lignes, de quels plans se compose ce qui n’appartient en particulier ni à l’Italie, ni à la France, mais à tous les peuples du globe, je veux dire la figure humaine. Lors même que la couleur de l’Improvisateur napolitain et de la Madone de l’Arc, au lieu de blesser les yeux par sa crudité, serait harmonieusement variée, le défaut que nous reprochons à ces deux compositions ne mériterait pas moins d’être signalé ; mais la dureté des tons choisis par Robert rend ce défaut tout-à-fait inexcusable. Quoi qu’on puisse dire sur le charme de la couleur, sur la valeur spéciale des écoles vénitienne et flamande, le dessin sera toujours l’élément le plus important de la peinture ; et lorsque la couleur manque d’harmonie comme dans l’Improvisateur napolitain et la Madone de l’Arc, il n’est pas permis de se montrer indulgent pour l’incorrection ou pour l’ignorance.

Le succès obtenu par les Moissonneurs est-il complètement légitime ? Nous n’hésitons pas à nous prononcer pour l’affirmative. Les admirateurs passionnés de Léopold Robert ont pu ne pas apercevoir les défauts de cet ouvrage et déclarer excellens plusieurs morceaux qui donneraient lieu à de graves reproches ; mais les juges les plus sévères, tout en faisant dans leur conscience de nombreuses réserves, ont compris qu’ils ne devaient pas protester contre l’enthousiasme populaire, puisqu’en cette occasion la foule couronnait un tableau vraiment digne d’admiration. Le sujet, tel que l’a compris Léopold Robert, rappelle les plus beaux ouvrages de la statuaire antique et n’a rien cependant de l’immobilité commune à la plupart des tableaux inspirés par les marbres grecs ou romains. L’attention se porte et se