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En Judée même, où la croyance religieuse des habitans repoussait tout emploi des arts d’imitation, Hérode fit bâtir deux magnifiques théâtres, l’un à Césarée, l’autre à Jérusalem. Enfin, une piquante anecdote, rapportée par Amarantus, nous apprend que Juba, roi de Mauritanie, ne recueillait pas seulement en historien les fastes du théâtre, mais qu’il avait dans son royaume un théâtre et des acteurs, entre autres, Leonteus, qu’il railla pour la manière dont il jouait le rôle d’Hypsipyle.

Et qu’on ne croie pas que les rois appelassent dans leurs états tous ces poètes et tous ces acteurs uniquement pour avoir des pièces jouées à huis-clos dans leurs palais. Ils se donnaient, à la vérité, ce passe-temps, comme nous le verrons bientôt ; mais leur but principal, en attirant auprès d’eux, à grands frais, des poètes et des comédiens, était d’offrir à leurs sujets des tragédies et des comédies jouées sur de vastes théâtres, comme à Athènes. Malheureusement, malgré tous les soins que prirent les rois grecs, les théâtres de Phères[1], de Pella, de Syracuse, d’Alexandrie, de Pergame, d’Halicarnasse, demeurèrent toujours bien loin de l’éclat dont avait brillé celui d’Athènes.

Cette infériorité s’explique aisément. Les royaumes grecs, à part la Sicile, ne prirent le goût de la tragédie et de la comédie qu’à l’époque où les causes qui avaient porté si haut ces deux arts à Athènes, n’y existaient plus. Le règne des comédiens avait succédé à celui des poètes. Ce n’étaient plus des poètes qui concouraient aux fêtes solennelles avec des tragédies ou des comédies nouvelles, mais des acteurs qui briguaient des couronnes avec des pièces remises à la scène. C’est en ce sens qu’il faut entendre ce que les historiens rapportent des concours scéniques ouverts par Philippe, Alexandre, les Ptolémées, les Attales, Antigonus. Ce sont, la plupart du temps, des concours entre acteurs, presque jamais entre poètes. Il y eut bien encore quelques luttes de cette dernière sorte, surtout à Athènes[2] et en Sicile ; mais elles étaient rares, et privées de la belle institution des choréges, elles ne produisirent que d’assez médiocres résultats.

En effet, la choragie scénique, qui, depuis l’abolition du gouvernement démocratique, disparut peu à peu de la constitution d’Athènes, ne pouvait, à plus forte raison, s’implanter dans des constitutions monarchiques. Les rois se seraient bien gardés d’admettre dans leurs états une magistrature élective et populaire telle que celle des choréges. D’une autre part, les frais de la choragie, dépourvus des compensations qui les allégeaient dans les états démocratiques, eussent été dans une monarchie un impôt trop onéreux et trop arbitraire. Les rois donc se chargèrent à la fois des fonctions de l’archonte d’Athènes qui recrutait et payait les comédiens, et de celles des cho-

  1. Alexandre, tyran de Phères, ne fut pas insensible aux plaisirs scéniques. Voy. Ælian. : Var. hist., XIV, 40. — Plutarch., De fortun. Alex., pag. 334, A, et Vit. Pelop., cap. XXIX.
  2. Denys remporta le prix de la tragédie à Athènes, et mourut au milieu de la joie et des fêtes qui suivirent sa victoire. Voy. Diodor., lib. XV, § 74, tom. II, pag. 60.