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ÉMANCIPATION DES ESCLAVES.

sans préparation, sans garanties, serait la source de désordres incessans et entraînerait l’abolition définitive du travail. Nous allons voir qu’on fit la loi menteuse, qu’on retira d’une main ce qu’on se vantait d’accorder de l’autre, et que, néanmoins, on ne put éviter les secousses, les souffrances et les périls que les émancipations générales traînent à leur suite.

Je sais que le décret de pluviôse an II ne doit pas supporter seul la responsabilité de cette crise ; je sais que l’agitation avait commencé dans nos colonies dès l’époque où elles avaient connu le décret rendu par l’assemblée constituante, le 3 juillet 1789, décret qui admettait la proposition rejetée l’année précédente par le conseil d’état, d’accorder une députation aux colons de Saint-Domingue ; je sais qu’un autre décret de la constituante, celui du 29 mai 1791, en accordant les droits de citoyens actifs aux hommes de couleur nés de père et mère libres, avait achevé de mettre aux prises les deux races, qui, l’une et l’autre, avaient appelé les esclaves à leur secours.

Je sais qu’au moment où la convention vota son fameux décret, le bouleversement était déjà complet dans nos îles, que les Bellegarde et les Ignace avaient déjà commis à la Guadeloupe les mêmes attentats que commettaient à Saint-Domingue les Jean-François et les Biassou. Je sais que déjà le Cap était incendié ; que déjà les commissaires français avaient promis la liberté à tous les esclaves qui viendraient se ranger sous les bannières de la république ; que déjà on avait ouvert, dans tous les quartiers de Saint-Domingue, ces registres qui reçurent la signature d’un si grand nombre de propriétaires d’esclaves, consentant à leur liberté.

Je sais aussi que, parmi les souffrances et les malheurs de Saint-Domingue, en particulier, il en est peu qui ne puissent s’expliquer par des circonstances étrangères au fait même de l’affranchissement ; qu’ainsi, malgré l’expédition anglaise, et jusqu’à la déplorable descente de Leclerc, la vie et la propriété des colons furent protégées, la suzeraineté de la France reconnue ; que le directoire envoyait à Toussaint-Louverture un sabre d’honneur et une paire de pistolets ; que Bonaparte lui écrivait, en 1800 : « Si le pavillon français flotte sur Saint-Domingue, c’est à vous et à vos braves noirs qu’on le doit. »

Je prends la constitution adoptée par Saint-Domingue en 1801, et j’y lis : « Il faut tranquilliser les propriétaires absens sur la sûreté de leurs propriétés ». Je lis plus loin : « Dans l’impossibilité où se trouve la France, engagée dans une guerre avec les puissances maritimes, de venir elle-même au secours de la colonie, l’assemblée législative a résolu de soumettre au gouvernement de France une constitution appropriée à ses besoins » ; et plus loin encore : « La propriété des colons non émigrés, ou ayant obtenu leur radiation en France, est garantie. »

Je reconnais que les atrocités commises par les noirs, en 1802, furent provoquées par d’autres atrocités, moins excusables peut-être. Je ne veux point chercher à qui il faut demander compte de tout le sang versé à cette époque. Je ne me demande pas si le décret qui rétablit l’esclavage et la traite n’était pas déjà rédigé quand le premier consul donnait ordre à l’expédition