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À la Dominique, même inquiétude, fondée sur les mêmes motifs. Bien que l’île ait appartenu aux Français, comme Sainte-Lucie, les nègres n’y sont pas aussi avides de colifichets, et le mauvais emploi de leurs jours de liberté témoigne assez de la simplicité extrême de leurs besoins.

À Hévis, des faits plus graves ont jeté l’alarme parmi les propriétaires. Des pièces de cannes ont été volontairement incendiées, et l’assemblée coloniale pourrait bien, en désespoir de cause, et par un motif fort différent de celui qui a déterminé les colons d’Antigues, proposer la libération immédiate.

À la Guiane, on ne doute pas que la fabrication du sucre ne devienne impossible à l’expiration de l’apprentissage, et l’on s’occupe activement des moyens d’attirer dans la colonie des ouvriers européens.

En effet, les apprentis manifestent, par toute leur conduite, l’intention d’abandonner les cultures pénibles. Dès à présent, on ne peut obtenir d’eux que le tiers ou la moitié des anciennes tâches. Le travail extraordinaire s’achète à un prix excessif ; et telle est l’indifférence des nègres, que beaucoup ont refusé le jour réservé auquel on attache tant de prix dans la plupart des colonies, et ont préféré travailler tous les jours pour leur maître pendant un moindre nombre d’heures. Il y a plus : aucun des nègres déclarés libres par le bill, comme ayant touché le sol anglais, n’a continué à travailler à la terre, et sur 9,873 enfans affranchis par le même acte, aucun n’a été mis en apprentissage.

À la Trinité, les planteurs sont presque unanimes à penser qu’à l’expiration de l’apprentissage il deviendra impossible de continuer les cultures. Ils ont déjà fait venir, pour essayer de combler les vides, des travailleurs de divers pays. Il est vrai que deux circonstances particulières viennent aggraver singulièrement la situation de cette île. C’est, d’abord, le désordre complet de la législation, causé par le mélange des lois espagnoles et anglaises ; c’est surtout l’état d’abandon de la presque totalité du territoire, dont la quatorzième partie est à peine cultivée, et l’existence, dans l’est, d’une tribu considérable de noirs libres, qui provient originairement du licenciement des Black-troops, qui s’est grossie ensuite des noirs trouvés sur les bâtimens négriers, et enfin des nègres marrons réfugiés de toutes les parties de l’île. On comprendra sans peine quelle excitation doit exercer sur l’esprit des apprentis le voisinage d’une telle colonie, et l’on ne sera pas étonné d’apprendre que, deux mois après la promulgation du bill, on comptait à la Trinité trois mille marrons sur vingt-quatre mille apprentis. Est-il nécessaire d’ajouter que les nègres libres ne travaillent que pour satisfaire aux besoins les plus restreints, et que les apprentis, afin de mieux annoncer leur résolution de marcher dans la même voie, ont préféré, comme à la Guiane, la diminution du nombre des heures du travail à la jouissance d’un jour réservé ?

Mais l’expérience la plus intéressante à observer est celle de la Jamaïque, car la Jamaïque a une véritable importance. Elle est pour l’Angleterre ce que Saint-Domingue était autrefois pour nous. Le succès à la Jamaïque couvrirait