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de cette maxime une application légitime, en ne demandant aux droits individuels que des sacrifices vraiment féconds et nécessaires.

Mais pénétrons un peu au fond des choses. La société n’a-t-elle pas au contraire un immense intérêt à ce que la propriété mobilière acquière de jour en jour plus de stabilité et de confiance en elle même ? Et les rentes sur l’état sont une des principales formes de cette propriété mobilière, que les développemens de la civilisation associent progressivement à la puissance de la propriété foncière.

S’il y avait dans nos provinces, chez les propriétaires agricoles, une tendance instinctive à jalouser les produits et les résultats du travail industriel, qui, la plupart du temps, se convertissent en rentes sur l’état, il serait digne de la chambre des pairs de signaler gravement les périls de cette manière de penser et de sentir, qui est loin, au surplus, d’avoir la consistance d’une opinion réfléchie. Nous ne pouvons pas tous remuer et labourer la terre, et tout le travail des hommes n’est pas enfermé dans les sillons du sol. Il faut donc tenir aussi en grande estime les labeurs du commerçant, du manufacturier, de l’artiste, du savant, et ne pas se hâter d’en diminuer le prix, si péniblement amassé, par des réductions d’une justice équivoque.

La propriété foncière sera d’autant plus solide et respectée que la propriété mobilière gagnera plus de force et de sécurité. Ces deux puissances ne sont pas hostiles, mais solidaires. Pourrait-on imaginer quelque chose de plus anti-social qu’une conspiration du revenu de la terre contre les rentes sur l’état ?

Ce sera donc une œuvre politique que de rassurer les rentiers, de les convaincre que si le pouvoir législatif adopte un jour des combinaisons qui retranchent quelque chose à leur revenu, cette réduction doit affermir leur propriété, et non pas l’ébranler dans son avenir ; car il ne faut pas oublier que c’est la pensée secrète de quelques-uns, et l’effroi profond de beaucoup, de trouver dans un système de réductions périodiques une banqueroute fractionnée et progressive.

Toutefois on ne saurait méconnaître qu’on ne pourra long-temps éviter de toucher au 5 pour 100. La volonté du pays s’est trop manifestée à cet égard pour qu’on puisse l’éluder ou la heurter violemment ; et quand même cette volonté serait une fantaisie financière, comment se dissimuler que, sous un régime constitutionnel, les fantaisies générales deviennent des lois ?

D’ailleurs, ce désir des provinces est un symptôme de plus de la nécessité de tourner l’attention du législateur sur la propriété mobilière ; comme chaque jour voit augmenter son importance, on cherche