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L’USCOQUE.

notre réputation, et non plus, je vous le jure, en raison d’aucun ressentiment personnel.

Malgré sa défaillance, Argiria avait tout entendu ; elle fit un grand effort pour retrouver le courage de parler à son tour ; et soulevant sa belle tête pâle du sein de sa tante : Faites comprendre aussi à messer Soranzo, ma chère tante, dit-elle, qu’il ne doit jamais ni nous adresser la parole, ni seulement nous saluer en quelque lieu qu’il nous rencontre. Si son respect et sa douleur sont sincères, il ne voudra pas présenter davantage à nos regards des traits qui nous retracent si vivement le souvenir de notre infortune.

— Je ne demande qu’une seule grace avant de me soumettre à cet arrêt de mort, dit Orio, c’est que ma défense soit entendue et ma conduite jugée. Je sens que ce n’est point ici le lieu ni le moment d’entamer cette explication. Mais je ne me relèverai point que la signora Memmo ne m’ait accordé la permission de me présenter devant elle, dans son salon, à l’heure qu’elle me désignera, demain ou le jour suivant, afin qu’à deux genoux, comme aujourd’hui, je demande grace pour les larmes que j’ai fait couler ; mais qu’ensuite, la main sur la poitrine et debout, ainsi qu’il convient à un homme, je me disculpe de ce qu’il peut y avoir d’injuste ou d’exagéré dans les accusations portées contre moi.

— De telles explications seraient douloureuses pour nous, dit Argiria avec fermeté, et inutiles pour votre seigneurie. La réponse loyale et généreuse que ma noble tante vient de vous faire doit, je pense, suffire à votre susceptibilité et satisfaire à toute exigence.

Orio insista avec tant d’esprit et de persuasion, que la tante céda, et lui permit de se présenter le lendemain dans la journée. — Vous trouverez bon, seigneur, dit Argiria, pour repousser la part de reconnaissance qu’il lui adressait, que je n’assiste point à cette conférence. Tout ce que je puis faire, c’est de ne jamais prononcer votre nom ; mais il est au-dessus de mes forces de revoir une fois de plus votre visage.

Orio se retira, feignant une profonde tristesse, mais trouvant qu’il allait assez vite en besogne.

Le lendemain amena une longue explication entre lui et la Memmo. La noble dame le reçut dans tout l’appareil d’un deuil significatif, car elle avait quitté ses voiles noirs depuis un mois, et elle les reprit ce jour-là, pour lui faire comprendre que rien ne pourrait diminuer l’intensité de ses regrets. Orio fut habile. Il s’accusa plus qu’on n’eût osé l’accuser : il déclara qu’il avait tout fait pour laver la tache que