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gouvernement anglais, mais l’entreprise désespérée de quelques exilés polonais qu’il savait être parmi les montagnards. En vérité, c’était une idée des plus absurdes ; car quel avantage pouvait-il y avoir à faire circuler des dissertations politiques parmi des gens qui non-seulement ignorent toutes les langues étrangères, mais encore ne savent pas lire la leur ? »

Anapa n’a qu’un mauvais port où les grands bâtimens ne peuvent entrer : les fortifications sont négligées du côté de la mer comme dans toutes les places de la côte de Circassie, parce qu’on ne craint pas d’attaque sérieuse de ce côté. Il n’y a dans la ville que de mauvaise eau ; la garnison est obligée d’aller en prendre à un ruisseau peu éloigné, ce qu’elle ne peut faire sans être munie d’un train d’artillerie. Ce canton appartenait autrefois à une petite tribu circassienne dont le chef permit aux Turcs de s’établir à Anapa en 1784, afin de faciliter le commerce qu’il faisait avec eux, et aussi pour qu’ils pussent protéger leurs sujets, les Tartares de la Crimée, dont plusieurs s’étaient réfugiés dans les montagnes. Ils y élevèrent une forteresse sur les ruines d’un ancien château bâti par les Génois du temps de leur établissement sur le littoral de la mer Noire : c’est alors que commencèrent les longues guerres qui ont désolé le pays jusqu’à ce jour. Anapa devint la résidence d’un pacha qui, par ses intrigues, excita les Circassiens, non-seulement à envahir le territoire russe sur la rive droite du Kouban, mais encore à se révolter contre leurs propres chefs : deux tribus égorgèrent leurs princes et se déclarèrent sujettes du sultan. Elles ne restèrent pourtant pas fidèles à leurs engagemens, car peu après on les vit s’armer contre les Turcs et menacer le pacha et sa garnison d’une entière destruction. À dater de cette époque, le pouvoir du pacha d’Anapa ne s’étendit pas au-delà des murs de la forteresse ; au reste, le gouvernement turc ne porta pas ses prétentions plus loin et se borna depuis lors à établir des relations commerciales avec les indigènes. Néanmoins ce point fut toujours considéré comme très important dans les guerres entre la Russie et la Porte. Anapa fut prise et reprise plusieurs fois ; en 1791, le général Goudowitch l’emporta d’assaut ; en 1807, elle eut encore un siége à soutenir, et les troupes russes s’en emparèrent et la détruisirent ; elle fut rendue à la Turquie par le traité de Bucharest, en 1812. Dans la guerre de 1828, l’amiral Greigh et le prince Menzikof l’assiégèrent pendant trois mois par terre et par mer, et elle ne se rendit qu’après une résistance opiniâtre. Le traité d’Andrinople l’a cédée à la Russie : c’était la seule possession qui restât aux Turcs sur la côte