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ÉTABLISSEMENS RUSSES DANS L’ASIE OCCIDENTALE.

d’autres travaux immenses, qui ne peuvent être effectués qu’avec une population de serfs et de soldats ouvriers. On entend de tous côtés la hache du charpentier et le ciseau du tailleur de pierre ; mais cette activité, ces ouvrages prodigieux, l’air misérable de la multitude qui y travaille sous un soleil brûlant, rappelaient à M. Spencer les Israélites élevant les monumens de l’Égypte ; et pour plus de ressemblance avec la terre des Pharaons, l’ophthalmie y est endémique, ce qui s’explique par l’ardeur du soleil, la blancheur de la pierre et les nuages de poussière impalpable qui viennent sans cesse frapper les yeux. Puis à la vue de ce grand mouvement : « Quel sujet de méditation ! s’écrie-t-il. Nous voyons ici un grand empire accroissant sa puissance avec une rapidité telle que la terre n’en a peut-être jamais vu de semblable. Et ne pensez pas que l’activité entreprenante de la Russie se borne aux provinces de la mer Noire. Non, elle déploie la même infatigable énergie en Sibérie et au Kamchatka comme à Astracan, sur les bords du Don et du Kouban comme sur ceux de la Néva. Si nous parcourons les contrées où le sauvage Nogai, le Mongol, le Calmouk, campaient, il y a peu d’années, avec leurs troupeaux, nous y voyons des villes, des villages et toutes les marques de la civilisation. La Russie elle-même, confinée dans ses déserts de neige, était, il n’y a guère plus d’un siècle, un pays à peu près inconnu, envahi et pillé à la fois par les Polonais, les Suédois et les Turcs, avec un peuple si timide, que si une poignée de Tartares se montraient aux portes d’une ville, ils mettaient en fuite tous les habitans ; et aujourd’hui, au XIXe siècle, elle est devenue l’effroi des nations environnantes. La Turquie et la Perse palpitent sous l’étreinte de sa main de fer ; l’Autriche, l’Allemagne et toutes les nations du Nord redoutent son pouvoir ; même la France, autrefois si puissante, la flatte et recherche son amitié. L’Europe voit maintenant avec consternation le prodigieux édifice que sa négligence a laissé grandir, et qui s’est élevé sur les ruines de la Pologne démembrée. »

Pourtant l’écrivain anglais, s’il exalte quelquefois hors de mesure la puissance de la Russie, quelquefois aussi la rabaisse beaucoup, et déclare que toute cette grandeur est factice et se réduit à peu de chose quand on la regarde de près. Tantôt il la présente comme infiniment redoutable pour l’avenir de l’Europe, tantôt il en parle avec mépris, et affirme qu’elle ne pourrait pas soutenir une lutte prolongée contre une seule des grandes puissances européennes. Nous ne nous chargeons pas de concilier ces contradictions, nous attachant surtout à recueillir des faits qui puissent aider nos lecteurs à se former une