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ÉTABLISSEMENS RUSSES DANS L’ASIE OCCIDENTALE.

Kouban : le but de l’ennemi était d’établir une ligne de communication entre ce fort et les possessions russes de Ghelendjik et de Soudjouk-Kalé sur la mer Noire. « Ce plan, dit M. Spencer, correspondait avec celui dont m’avaient parlé les Russes. C’était pour l’accomplir qu’on avait pris Soudjouk-Kalé, qu’on avait fait un arsenal de la forteresse de Ghelendjik, et que la nouvelle conquête sur l’Oubin ou l’Aboun avait été soigneusement fortifiée. Cette position est, au fond, la plus importante qu’aient prise les Russes depuis le commencement de la guerre ; car, s’ils pouvaient s’y maintenir, ils rendraient si difficile toute attaque combinée de la part des princes confédérés, que tout le nord-ouest de la Circassie devrait finir par reconnaître leur autorité.

Les Circassiens paraissaient fort bien comprendre ce danger, et je fus étonné de la netteté de leurs idées à ce sujet, aussi bien que de la sagesse des plans qu’ils avaient formés pour déjouer ceux de leurs envahisseurs. Tout le pays par où on s’attendait qu’ils passeraient devait être dévasté et les villages brûlés. D’un côté, des bandes armées devaient traverser le Kouban et porter la guerre et la désolation dans le pays des Cosaques de la mer Noire ; de l’autre, on devait attaquer le camp russe à Soudjouk-Kalé, pendant que des guérillas seraient en embuscade dans tous les passages et sur les bords de l’Aboun, pour harceler l’ennemi et embarrasser sa marche[1]. »

Avec cette nouvelle, le prince reçut une invitation de se rendre à l’assemblée des chefs confédérés, qui se tenait à sept ou huit lieues de là. M. Spencer l’accompagna, ayant pris avec lui un juif silésien, esclave de son hôte, et qui lui servait d’interprète au moyen de l’allemand. L’assemblée était convoquée sur les bords de l’Oubin, où ils arrivèrent à travers des vallées délicieuses, fort peuplées et fort bien cultivées. C’était un coup d’œil admirable que celui de ces tentes, de ces troupeaux, de ces guerriers avec leurs beaux chevaux, leurs costumes pittoresques et leurs brillantes armures, se rangeant autour d’une bannière nationale qu’ils venaient de recevoir de Stamboul, et qu’avaient brodée les belles mains d’une princesse circassienne occupant une haute position dans l’empire ottoman. À la vue de cet étendard, symbole d’unité long-temps attendu, des milliers de sabres furent agités, et un long cri de joie se fit entendre. « Jamais, dit

  1. Les résultats prouvèrent la sagesse de ce plan, car Soudjouk-Kalé fut abandonné, la garnison d’Aboun réduite à une affreuse disette, les rangs des Russes considérablement dégarnis, et le pays des Cosaques de la rive droite du Kouban presque entièrement dévasté. (Note de M. Spencer.)