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LA PAPAUTÉ DEPUIS LUTHER.

les protestans, tant en adoptant leurs sentimens sur la justification qu’en régénérant la discipline par la réforme des abus. Desseins respectables, mais inutiles. Il vient une heure, dans la durée des grandes institutions, où il leur est interdit de se régénérer elles-mêmes ; elles le veulent en vain dans leur repentir et leur effroi. Le remède doit leur venir d’ailleurs. Une autre puissance s’est levée, chargée de les frapper et de les changer violemment : c’est seulement après avoir subi ce châtiment et cette révolution, qu’elles peuvent espérer une nouvelle existence, et encore à la charge de la combiner avec la marche de l’humanité..

Mais les contemporains d’un grand mouvement ne sauraient le juger comme ceux qui viennent après, et leurs passions les poussent naturellement à ne rien négliger pour la défense de leur cause. Cette ardente volonté est la vie de l’histoire. Provoquée par l’Allemagne qui voulait abolir le monachisme, l’Italie cherchait à le rajeunir, et aussi à introduire la réforme dans le clergé séculier. Mais le catholicisme, dans ses adversités, devait recevoir son plus puissant secours d’un établissement nouveau dont les fondateurs se disaient, par excellence, les hommes de Jésus-Christ, les jésuites.

Les pages que M. Ranke a consacrées à Ignace de Loyola, peuvent être citées parmi les plus piquantes de son livre ; il est impossible de mieux faire comprendre comment, chez don Inigo Lopez de Recalde, le plus jeune fils de la maison espagnole de Loyola, la plus haute spiritualité religieuse se mêla d’une manière indissoluble aux formes chevaleresques. Quand le jeune Inigo, après avoir paru à la cour de Ferdinand-le-Catholique et à celle du duc de Najara, eut été atteint d’une blessure aux deux jambes, à la défense de Pampelune contre les Français, en 1521, il charma les ennuis d’une longue guérison par des romans de chevalerie, puis par l’histoire de quelques saints, enfin par la vie du Seigneur. Alors, dans sa tête, les formes de la guerre et les devoirs de la sainteté se confondirent. Pour lui, le bien et le mal étaient deux armées : l’une était campée près de Jérusalem et avait Jésus-Christ pour général ; l’autre n’était pas loin de Babylone et se déployait sous les ordres de Satan. Inigo ira donc s’enrôler sous les ordres de Dieu à Jérusalem, mais auparavant il fera devant l’image de la Vierge la veille des armes, parce qu’il veut imiter Amadis de Gaule.

Inigo ne se trompait pas : l’église avait besoin d’un chevalier. Elle rencontra, dans le soldat blessé à Pampelune, une ame ardente, une foi extatique, un dévouement qui prit l’allure de l’héroïsme et de