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de tout cela, dit M. Spencer, ne peut s’appliquer à eux aujourd’hui, et je doute beaucoup que cela ait jamais été vrai[1], excepté en ce qui concerne la violation des traités, car la loi et la religion des Circassiens leur défendent de tenir la parole donnée à un ennemi. Aussi ne sont-ils pas très scrupuleux sur ce point, quand ils ont traité avec les Russes, ou en général avec un ennemi quelconque. »

Il nous semble, d’après ces citations, que le voyageur anglais ne devrait pas tant s’indigner contre les voyageurs qui l’ont précédé dans le Caucase, qui n’ont dit, après tout, que ce qu’il dit lui-même, et qui ne diffèrent d’avec lui qu’en ce qu’ils n’ont pas connu ou n’ont pas trouvé suffisamment bonnes les raisons alléguées pour justifier ce côté des mœurs circassiennes. Nous le trouvons en général injuste pour ces écrivains, qui, pour la plupart, ont publié leurs relations à une époque où personne ne s’inquiétait en Europe de la querelle des Russes et des Circassiens, et qui, par conséquent, ont pu voir les choses avec un calme parfait et une complète liberté d’esprit. Tous sont d’accord, du reste, pour reconnaître chez ces montagnards de grandes qualités, du courage, de la générosité, de l’élévation, et, en général, ce qui caractérise les races héroïques. Klaproth, que nous sommes étonnés de voir signalé comme vendu aux Russes, car il les traite souvent fort mal, appelait, il y a bien des années, les Tcherkesses, une brave et excellente nation sur les droits de laquelle la Russie a empiété de toutes les manières, jugement que nous acceptons volontiers, réduit à ces termes, sans pouvoir toutefois admettre qu’on parle à l’Europe de ces peuplades barbares comme on lui parlerait de la noble et malheureuse Pologne, ou même comme on lui parlait, il y a douze ans, de la Grèce chrétienne, soumise aux avanies musulmanes. D’ailleurs, M. Spencer, avec ses retours continuels à la question commerciale et ses appels aux armes, dans l’intérêt des cotonnades anglaises, glace complètement notre enthousiasme, et il nous faut de véritables efforts d’impartialité pour voir dans ses tirades contre les oppresseurs de la Circassie quelque chose de plus que le prospectus d’un commis voyageur de la grande boutique britannique.

Il ne s’ensuit pourtant pas que nous ayons foi à la parfaite innocence et à l’austère délicatesse du gouvernement russe dans cette affaire. Il a employé, comme tous les conquérans, comme l’Angle-

  1. M. Spencer vient de dire que les tribus se faisaient sans cesse la guerre pour enlever des femmes ; il a aussi répété plusieurs fois que la confédération avait fait cesser toutes les querelles particulières, et apparemment elle n’a pas fait cesser ce qui n’existait pas.