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DES INTÉRÊTS NOUVEAUX EN EUROPE.

Maures prépara celle des Indiens. Mais la superbe indépendance de l’aristocratie espagnole rencontra la dictature de Charles-Quint : le génie municipal fut frappé au cœur, alors qu’il commençait à s’épanouir, et quand le sang de Padilla de Tolède, de Bravo de Ségovie, de Meldonada de Salamanque, eut coulé, il n’y eut plus pour l’Espagne de vie et de gouvernement que le despotisme. »

Nous ne croyons pas que les bienfaits dont l’établissement de la maison de Bourbon, et plus tard le pacte de famille, ont pu doter l’Espagne, soient aussi problématiques que le pense M. de Carné. Nous estimons, au contraire, avec un grave historien[1], que sous cette influence l’Espagne, en moins d’un siècle, améliora son agriculture, rétablit sa marine, réorganisa son armée, doubla sa population. Après avoir signalé ces excellens effets, M. Mignet reconnaît aussi que ce changement s’arrêta à la surface du pays et ne pénétra pas dans ses entrailles. Mais alors, après la dynastie implantée par Louis XIV, vint le mouvement philosophique et le mouvement révolutionnaire.

Tout s’enchaîne dans les affaires des peuples : sans Louis XIV, nos idées et nos institutions eussent eu beaucoup de peine à trouver le chemin de l’Espagne ; c’est pour elles que sans le savoir le fils d’Anne d’Autriche aplanissait les Pyrénées. Depuis qu’à la mort de Charles-Quint la Péninsule espagnole cessa de subir l’influence allemande, elle fut toute à l’influence française. Philippe II, par ses agressions et même par ses victoires, commença ces relations si persévérantes entre Madrid et Paris. Il y a cent trente-huit ans que Louis XIV acceptait le testament de Charles II, et nouait ainsi les rapports de l’Espagne et de la France constitutionnelles.

Partisan de l’intervention en principe, M. de Carné aurait voulu la placer à l’époque du premier siége de Bilbao, si fatal à l’armée carliste ; aussi arrive-t-il à cette conclusion que le ministère du 22 février, celui du 6 septembre et celui du 15 avril restent en dehors de la véritable question espagnole ; que c’était avant qu’il fallait la résoudre, et que depuis on n’a guère eu qu’à choisir entre des fautes. Il n’est guère possible en dehors des affaires de discuter le mérite de ces affirmations. Le terrain des réalités politiques est à la fois si vaste, si profond et si mobile, qu’il ne saurait être embrassé et scruté d’un œil sûr que dans certaines situations.

Mais nous répéterons que toute la partie du second volume de M. de Carné, qui traite de l’Espagne, est de la plus haute distinction : c’est

  1. Négociations relatives à la succession d’Espagne sous Louis XIV. Introd., pag. XCIX.