Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 14.djvu/85

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
81
LA PAPAUTÉ DEPUIS LUTHER.

mens intellectuels avorter pour faire place à la défense exclusive des intérêts positifs. On put croire dans les premières séances que les profondeurs de la spiritualité seraient traitées avec impartialité ; mais bientôt il devint évident que toute opinion inclinant au système protestant était, par là même, l’objet d’une réprobation préméditée. Quand le dogme de la révélation eut été posé, ainsi que ce devait être, comme un principe sacré, on parla des sources dans lesquelles il faut en puiser la connaissance, et plusieurs voix s’élevèrent pour dire que, dans l’Évangile, se trouvait toute vérité, toute voie pour mener au salut ; mais une grande majorité condamna ces paroles. On décida que la tradition non écrite, reçue de la bouche du Christ, propagée par les apôtres, sous la protection du Saint-Esprit, jusque dans ces derniers temps, devait être l’objet d’une aussi grande vénération que l’Écriture sainte elle-même.

Dès que l’autorité de la tradition était égalée à l’autorité de l’Écriture, le concile témoignait assez qu’il ne s’était pas rassemblé pour travailler à la révision impartiale des opinions catholiques, mais à leur confirmation solennelle. Dès-lors non-seulement toute tendance protestante, mais toute tentative de conciliation fut sévèrement écartée des décisions du concile. La justification par les actes eut le pas sur la grace ; de plus elle fut déclarée ne pouvoir opérer que par les sacremens, qui impliquaient à leur tour toute l’autorité de l’église visible.

Dans le concile de Trente, le protestantisme ne fut pas discuté, mais repoussé. Au ive siècle, l’église avait plus de foi dans les débats de l’intelligence, quand, à Nicée, elle ne condamnait qu’après de longues discussions les opinions d’Arius. Il arriva aussi que, dans le concile du xvie siècle, les décrets furent rédigés avec assez d’ambiguïté pour que des théologiens comme Dominique Soto et Catharin, qui professaient sur les sujets les plus importans des sentimens contraires, pussent tous les deux s’autoriser des décisions de l’assemblée. À ce propos Sarpi fait cette remarque : « On peut juger par là combien peu l’on doit espérer de savoir à présent la pensée du concile, puisque ceux qui en étaient les chefs et ceux qui y avaient assisté ne s’accordaient pas eux-mêmes. »

Le désir, fort louable sans doute, qui animait M. Ranke, historien protestant, de se parer, envers les catholiques, de la plus haute impartialité, lui a trop dissimulé la profonde faiblesse du concile sous le rapport dogmatique. Le concile de Trente ne s’est pas considéré comme le représentant de la chrétienté tout entière, mais plutôt comme une assemblée politique appelée à la défense d’intérêts attaqués. En re-