Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 14.djvu/86

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
82
REVUE DES DEUX MONDES.

vanche, M. Ranke a su apprécier avec beaucoup de sagacité la seconde période du concile, pendant les conférences de Morone et de l’empereur, dans l’été et l’automne de 1563. Il montre fort bien l’église catholique traçant elle-même les limites dans lesquelles elle voulait se renfermer, ne conservant plus de ménagemens pour les Grecs et pour l’église d’Orient, et lançant sur le protestantisme d’innombrables anathèmes.

Par son dernier acte, le concile déclarait que, de quelques paroles ou de quelques clauses qu’il se fût servi dans les décrets de réformation et de discipline ecclésiastique faits sous Paul III, sous Jules III et sous Pie IV, il entendait toujours que ce fût sans préjudice de l’autorité du saint-siége[1]. Voilà quel était, pour la papauté, le plus grand intérêt ; elle le tenait pour supérieur même au dogme. Ainsi le pape conservait le droit exclusif d’interpréter tous les canons du concile de Trente ; il restait seul maître, seul dispensateur des règles de la foi et de la vie, et sa puissance, qui perdait en étendue, gagnait en concentration.

L’institution des jésuites et le concile de Trente furent, pour ainsi dire, d’habiles déclinatoires opposés à l’esprit humain ; on esquivait la discussion des idées pour se jeter dans la défense des intérêts, et pour sauver le présent, on ruinait l’avenir. Ne trouvons-nous pas une nouvelle preuve de l’effroi qu’inspiraient aux papes les questions et les débats soulevés par le xvie siècle, dans l’établissement d’une nouvelle inquisition à laquelle Loyola prêta son appui ? La terreur régna sur toute l’Italie ; la haine des partis vint au secours des inquisiteurs. « À peine s’il est possible, s’écriait un proscrit, d’être chrétien et de mourir dans son lit. » Toute la littérature fut soumise à la surveillance la plus sévère. Rome ne s’épargna aucune violence pour extirper de l’Italie les opinions hétérodoxes ; elle eut ses auto-da-fé ; Venise eut ses noyades. Les villes de l’Allemagne et de l’Italie étaient remplies de malheureux qui fuyaient les fureurs des émules du saint-office espagnol.

Mais l’histoire même des papes nous fera voir de plus en plus toute spiritualité s’effaçant sous les intérêts politiques. À dater du xvie siècle, le chrétien paraît peu chez ceux qui s’appellent les successeurs de saint Pierre ; le prêtre se confond avec le prince temporel et l’homme d’état. De grandes affaires, des talens non moins déliés que les intrigues où ils se mêlent, des lutteurs habiles qui veulent triom-

  1. Sarpi, liv. VIII, chap. LXXVII.