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REVUE. — CHRONIQUE.

vera toujours, dans la chambre, des députés modérés et prudens, disposés à maintenir l’ordre et à donner au gouvernement la force qui lui est nécessaire. Il suffit, pour cela, d’être propriétaire, industriel, père de famille, ou simplement homme sensé. N’avons-nous pas vu dans cette session les projets du gouvernement attaqués par des fonctionnaires ? Ne compte-t-on pas parmi eux des députés doctrinaires et d’autres nuances de l’opposition ? Et quand M. Gauguier s’est adressé de la tribune à ses collègues, en leur disant : « Vous, le conseiller de la cour de cassation ; vous, le procureur-général ; vous, le conseiller d’état ; vous, le professeur de l’Université, » du ton que prenait Cromwell en reprochant aux membres du parlement qu’il évinçait, d’être l’un un joueur, l’autre un ivrogne, l’autre un débauché, on n’a pu qu’applaudir au rappel à l’ordre dont il a été frappé. Encore quelques sorties de ce genre, et l’on reviendra, comme on est revenu de tant de préventions, de cette sorte d’ostracisme appliqué aux fonctionnaires. Il semble à certaines gens que les hommes savans, capables, actifs, laborieux et souvent éminens, qui consacrent leur vie au service de l’état pour un salaire qui ne paraîtrait pas suffisant au plus mince industriel, soient des parias qu’il faille écarter à tout prix. Or, il n’y a pas de pays dans toute l’Europe (et l’Europe entière nous rend cette justice, si M. Gauguier nous la refuse) où les fonctionnaires du gouvernement soient plus droits et plus intègres. Le personnel de l’administration en France est cité partout en exemple, on vante son exactitude, sa conscience et sa probité, jusque dans les postes inférieurs ; et parmi nous, il est de mode de déclamer contre les fonctionnaires ! Un oisif, un spéculateur enrichi d’un coup de Bourse, un entrepreneur qui a réalisé une sorte de fortune, se croient bien au-dessus de tous les fonctionnaires. On est indépendant du gouvernement ! C’est le grand mot, mot bien vide et bien contraire aux conséquences qu’on en tire, car cette dépendance entraîne avec elle des devoirs qui sont une garantie qu’on ne trouve pas ailleurs. Nous reviendrons sur ce sujet, parce qu’il y a quelque courage à s’attaquer à des lieux communs et à des erreurs triviales, et c’est un devoir auquel nous ne ferons jamais défaut.

Nous ne reculerons pas plus devant les attaques de certaines feuilles qui, comme le Constitutionnel, ne voient d’indépendance que dans les injures qu’on adresse au pouvoir. La presse servile, selon nous, est celle qui obéit aveuglément aux instincts les plus grossiers qu’elle suppose dans ses lecteurs, et qui est injurieuse, en cela, non pas seulement à ceux qu’elle attaque, mais à ceux qu’elle défend de cette façon. Nous parlons du Constitutionnel, parce qu’il est à la tête de cette école de polémique surannée, qui mérite tout le ridicule dont l’a couverte, en termes si spirituels, la presse quotidienne littéraire. Pendant cette session, et durant quelques semaines seulement, ce pitoyable genre de discussion semblait avoir été écarté par le Constitutionnel ; une connaissance hardie et profonde des affaires n’y excluait pas, dans certains articles, les formes polies et souvent généreuses ; mais le génie de l’ancien Constitutionnel a reparu depuis, plus étroit encore peut-être, et plus livré à de mesquins intérêts. On lit aujourd’hui à chaque ligne du Constitu-