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REVUE. — CHRONIQUE.

avec ardeur ; la justice, le bon droit, les évènemens qui ont eu lieu depuis sept ans, tout motive ces changemens, tout plaide en faveur de la Belgique ; mais le traité existe, il faut d’abord le reconnaître dans ses bases, sauf à en débattre quelques parties ensuite. La Belgique peut bien demander à la France de l’aider à repousser cette loi, devenue si rude pour elle par l’effet de circonstances nouvelles ; mais qui osera conseiller à la France de mettre le feu aux quatre coins de l’Europe à cette occasion ? La Belgique se plaint de sa situation présente, avec une vivacité que nous ressentons ; elle déclare que vouloir exécuter le traité, c’est provoquer une crise financière qui commence déjà, et dont la France recevra le contre-coup. La crise serait-elle moins forte si la Belgique devenait le théâtre d’une guerre ? Loin d’exiger de la Belgique le sacrifice qui lui répugne justement, la France s’emploie sans doute, à l’heure qu’il est, à le diminuer, en mettant toute l’autorité de sa loyale protection dans la balance. Toutefois, la France peut dire aux Belges qu’elle même aussi, elle a fait des concessions bien grandes à la paix de l’Europe, à la fidélité qu’on doit aux traités, lorsqu’en 1830, elle reconnut les traités de 1815. Cet acte de loyauté nous a été reproché comme une faiblesse ; on peut répondre victorieusement aujourd’hui qu’il y a eu habileté et haute sagesse dans cette bonne foi, car ces traités n’ont pas empêché l’accomplissement de faits tels que l’établissement du royaume de Belgique, et de la monarchie constitutionnelle en Espagne, sans compter toutes les modifications qu’un avenir prochain opérera dans l’Europe de 1815. Quand le roi, qui a tiré autrefois noblement son épée pour défendre contre l’ennemi le territoire de la France, a commandé ce sacrifice à son ame toute française, il a donné un grand exemple qui ne sera pas perdu sans doute. Les liens étroits qui unissent les deux couronnes, nous sont une garantie du concert qui régnera dans les mesures qui se sont décidées, quelles que soient ces mesures. Encore une fois, nous n’avons pas la prétention de les connaître, ne fussent-elles même plus en discussion, comme elles le sont sans doute encore. Voilà pourquoi nous n’avons pas hésité à donner tout notre avis sur la question belge. Nous espérons qu’en le publiant de nouveau, et en le motivant mieux, nous servirons plus M. le président du conseil que nous ne le compromettrons. C’est en nous un désir d’autant plus sincère, que nous ne pouvons, en conscience, lui prêter aucune part dans l’article de la Charte de 1830 ; le ton de cet article nous fait un devoir de parler ainsi. Non, M. le comte Molé ne compromettrait pas si délibérément une réputation de politesse et de bonnes manières, qui fait partie intégrante de son existence politique, et ce langage, tout exceptionnel de sa part, ne s’adresserait pas à un recueil dont il n’a cessé de recevoir des témoignages d’estime et de sympathie depuis huit ans qu’il est fondé.


F. Buloz.