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VICO ET SON ÉPOQUE.

la hardiesse, la force, l’originalité des maîtres ne se trouvent pas dans les deux Italiens : c’est que, gênés par les antécédens d’une érudition inutile, ils ne pouvaient pas saisir les principes dans leur simplicité. Et cependant si Fardella et Filangieri avaient rêvé l’époque de Léon X, s’ils eussent aspiré à l’originalité nationale de Machiavel ou de Bruno, on les eût forcés, malgré leur génie, à rejoindre les ombres des Borgia et des Médicis. En effet, qu’est-ce que l’originalité excentrique qui se cramponne à des traditions mortes, brisées, à des idées qui n’ont plus de réalité ? C’est du génie inutile, c’est un effort pour défigurer le présent par d’importunes réminiscences du passé. Campanella et Ortes sont les types de cette position malheureuse. Le premier, à demi réveillé par la révolution de Luther, étudie les anciens, rêve la république de Platon, et demande des secours au Grand-Turc pour faire de son village la capitale d’un nouveau royaume. Cruellement détrompé, il médite, dans sa prison, le problème de l’autorité sociale, mais pour exagérer follement les prétentions de Grégoire VII ; il analyse la sensation, il n’est pas loin de devancer Locke, mais il s’égare au milieu de l’astrologie et de la scolastique. Ortes, lui aussi, est à la veille d’une grande découverte, il dit, avant Smith, que c’est au peuple, aux individus et non aux gouvernemens, de diriger l’industrie ; mais au lieu de suivre les conséquences de ce principe de la libre concurrence, il va faire l’apologie des fiefs, et il se charge de paralyser lui-même l’essor de son génie. Ce n’est pas en France, en Angleterre, au milieu d’une nationalité vivante, que ce volte-face eût été possible ; Smith ne pouvait pas se cabrer contre le mouvement commercial qui réclamait la révolution de la libre concurrence ; il devait poursuivre les conséquences de son propre système, sous peine de le voir achevé par d’autres. En Italie, Smith aurait pu mêler dans ses livres le pour et le contre, sans que personne fît attention à lui pas plus qu’à Ortes ou à Campanella.

C’est au milieu de cette anarchie d’élémens étrangers et vieillis que Vico naquit à Naples en 1668. Profondément attaché au catholicisme, enthousiaste de la littérature classique, passionné pour les anciens, étudiant incessamment le droit romain, à son insu il se conserva absolument Italien. Il écrivait, disait-il, comme s’il avait dû lire ses ouvrages à Aristote ou à Quintilien, il publiait même la plupart de ses livres en latin. Qu’allait-il penser du monde moderne ? Juste ce qu’en aurait pensé un ancien. Luther à ses yeux renouvelait les troubles d’Alexandrie et devait entraîner la ruine de l’empire romain,