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VICO ET SON ÉPOQUE.

simple point indivisible ; eh bien ! c’est ainsi que Dieu tire la matière, le mouvement, les corps, l’univers, du simple point métaphysique indivisible. Il est difficile, dira-t-on, de concevoir des points sans étendue, sans mouvement, et qui cependant engendrent l’étendue et le mouvement. Mais ce qui est clair en physique, devient problématique en métaphysique ; rien de plus évident que le corps, et rien de plus mystérieux que l’origine des corps. Renversez le raisonnement, passez de la métaphysique à la physique : dès que les conjectures sur les causes comparaissent devant le tribunal de la physique, elles doivent paraître étranges, obscures, paradoxales.

À quarante ans, Vico ne dépassait pas ces idées, il avait fait une sorte de compromis entre l’ontologie et la physique, entre l’autorité et la raison, et il en serait probablement resté là, si, plusieurs années après, il ne s’était aperçu que la lutte entre l’autorité et la raison se renouvelait avec éclat dans la jurisprudence. Grotius s’était insurgé contre le droit romain, comme Descartes contre l’autorité philosophique ; il y avait guerre ouverte entre la jurisprudence romaine et la jurisprudence rationnelle. Fallait-il nier l’histoire ou la philosophie, l’autorité ou la raison ? C’était un nouveau problème, et Vico s’efforça de comprendre le droit dans le compromis qu’il avait établi entre l’autorité et la raison. D’après lui, il y a un droit métaphysique et un droit physique, comme il y a une physique et une métaphysique de la nature. Le droit physique, c’est le droit romain tel qu’il existe dans l’histoire, il sort des intérêts politiques, il est dicté par le pouvoir des patriciens, des plébéiens ou des empereurs. Le droit philosophique sort de la raison, c’est la loi de la liberté et de l’égalité déduite de la considération abstraite de la nature humaine. En apparence, ces deux espèces de droit se détruisent ; cependant il y a des instans dans l’histoire où ils se confondent, et où les législateurs sont des philosophes ; c’est l’époque de Périclès à Athènes, d’Auguste à Rome. Cette fusion n’est pas improvisée par quelques individus, ce n’est pas une révolution soudaine qui détruit les rapports de la société : elle sort de la marche des nations ; c’est l’autorité qui, après avoir épuisé toutes les combinaisons politiques pour régler les intérêts de la société, se trouve naturellement amenée au droit philosophique. L’histoire de Rome en fournit la preuve. Elle commence par la guerre de tous contre tous ; de cette guerre sort la féodalité solitaire des familles qui commandent à leurs feudataires et qui luttent contre les nomades. Mais les feudataires se révoltent ;