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Chute d’un Ange appartient à un ordre d’idées très supérieures aux idées qui animent les précédens ouvrages de M. de Lamartine. Mais, pour faire ce départ, pour dépouiller la pensée du poète de la forme imparfaite qu’il lui a prêtée, il faut une rare bienveillance, un courage patient ; et c’est à peine si la bienveillance et le courage suffisent à l’accomplissement de cette tâche. Il n’y a guère que les hommes familiarisés par des lectures nombreuses, par une réflexion assidue, avec la valeur des idées poétiques, habitués à estimer les idées pour elles-mêmes, qui puissent se résoudre à voir, je ne dis pas un poème, mais un recueil de fragmens poétiques dans la Chute d’un Ange. Si donc le plus grand nombre des lecteurs refuse d’apercevoir et d’admirer les beautés vraies qui abondent dans ce nouvel épisode, M. de Lamartine n’aura pas le droit de se plaindre. Il a semé la paresse, il recueille le dédain, la moisson est digne du laboureur. Sans accuser la foule de frivolité, nous concevons très bien qu’elle détourne les yeux d’un livre confus où les mots sont détournés presque à chaque page de leur sens naturel, où les images se croisent et se contrarient et semblent prendre à tâche de dérouter l’attention. Mais comme cette grossière ébauche est pleine, selon nous, d’idées excellentes, qui, pour atteindre à la beauté suprême, n’attendaient qu’une volonté persévérante, un poète pénétré de respect pour lui-même et pour les lecteurs auxquels il s’adresse, nous croyons utile d’apprécier la valeur individuelle de tous les élémens que M. de Lamartine a entassés dans la Chute d’un Ange, et qu’il n’a voulu ni trier, ni combiner, ni traduire, comme le prescrivaient les lois du goût. Nous croyons que le public se trompe en traitant le nouvel épisode avec une ironie cavalière ; mais nous reconnaissons que M. de Lamartine a mérité, par sa négligence, les reproches que le public ne lui épargne pas. L’analyse attentive du nouveau poème suffit à établir l’erreur et la justice de la foule.

Les personnages mis en scène par M. de Lamartine sont dessinés avec aussi peu de précision que l’action à laquelle ils prennent part. Cependant je dois faire une exception en faveur de Cedar et de Daïdha. Comme, grâce à la popularité du nom de l’auteur, ce livre est aujourd’hui connu de tous les amis de la poésie, je suis naturellement dispensé de raconter l’action et de décrire le rôle des personnages ; je puis, en toute liberté, parler de la Chute d’un Ange comme d’un tableau que tout le monde a vu. Ainsi conçue, la critique a plus de franchise et de portée. Je dis donc que Cedar et Daïdha, entre tous les personnages du nouveau poème, sont seuls dessinés avec précision.