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LA CHUTE D’UN ANGE.

Cedar, qui aurait dû donner son nom à la Chute d’un Ange, chargé par Dieu de veiller sur Daïdha, passe de l’admiration à l’amour, de l’amour à la tristesse, de la tristesse au désir, et du désir à la condition mortelle. Pour le punir d’avoir gémi sur l’immatérialité de son être, qui lui défend de se révéler à Daïdha sous une forme visible, Dieu permet que Cedar prenne la figure humaine et soit soumis à toutes les misères de notre condition. Jusque-là tout est bien, tout se comprend ; mais ce qui ne se comprend pas, c’est que Cedar, transfiguré par le désir, ne garde aucun souvenir de sa condition précédente ; c’est que l’ange soit complètement effacé de la mémoire de l’homme. Quoique cette transfiguration semble appartenir exclusivement au domaine de la foi, la logique cependant ne perd pas ses droits sur le sujet de la métamorphose. Or, aux yeux de ceux qui croient à l’existence d’êtres placés entre Dieu et l’humanité, moins parfaits que le créateur et supérieurs à la créature humaine, il n’est pas naturel que Cedar, en descendant de la condition angélique à la condition humaine, oublie absolument ce qu’il a été. Vainement objecterait-on que les religions et les philosophies qui ont admis la métempsycose ont admis en même temps que l’ame, dans ses différentes migrations, ne conserve aucun souvenir de la forme qu’elle a dépouillée. Que signifie le châtiment infligé par Dieu à Cedar, si Cedar n’a pas conscience de ce qu’il a perdu ? Abolissez le souvenir chez l’ange transfiguré, et vous abolissez du même coup le caractère pénal de la transfiguration. Toutefois, malgré cette inconséquence que j’ai cru devoir signaler, Cedar est plein de grandeur et nous inspire une vive sympathie.

La figure de Daïdha n’a pas moins de charme que celle de Cedar. Tendre, naïve, dévouée jusqu’à l’héroïsme, heureuse de sa beauté, conciliant très bien l’amour de la parure et la pudeur la plus sévère, cette création ferait honneur aux pinceaux les plus habiles. Par la suavité des contours, par la grace à la fois chaste et voluptueuse de ses mouvemens, elle rappelle la Madeleine du Corrége et les madones de Raphaël. Mais nous sommes étonné que le poète, après nous avoir dit que Daïdha reconnaît dans Cedar le rêve de toutes ses nuits, ne cherche pas à pénétrer le mystère de cette ressemblance. Il nous semble que cet oubli est réprouvé par la logique, et nous insistons d’autant plus volontiers sur cette inconséquence, que Daïdha, en comparant le visage de Cedar au visage lumineux qui rayonnait dans ses rêves, trouverait dans sa curiosité une grâce de plus.

Adonaï, en qui se personnifie la piété, est loin d’avoir la même