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valeur que les figures précédentes : les traits de ce personnage sont tracés avec une impardonnable confusion. Quant au titan Nemphed, quant à Lakmi, son ame damnée, il nous est impossible d’apercevoir, dans les traits que l’auteur leur a prêtés, la beauté sévère qui convient aux héros d’un poème élevé. Placés dans un mélodrame, Nemphed et Lakmi ne manqueraient pas de produire un grand effet ; placés dans un poème qui a la prétention de peindre le monde primitif, de retracer la condition humaine avant le déluge, ils semblent vulgaires malgré leur monstrueuse dépravation. L’égoïsme inflexible de Nemphed et la corruption précoce de Lakmi auraient besoin, pour paraître vraisemblables même dans le monde primitif, d’être conçus et dessinés avec plus de sobriété. Les proportions indéfinies que l’auteur a données aux vices de ces deux personnages troublent la vue sans exciter l’étonnement. Cette courtisane qui n’a pas de sens et qui tue ses amans dans un baiser, sur un signe de son maître, ce tyran qui se complaît dans la cruauté et qui dépasse de cent coudées les monstrueuses fantaisies dont Suétone nous a laissé le tableau ; près de qui Caligula et Néron sont presque purs, réussissent à peine à soulever le cœur, tant ils sont loin de nous, tant ils dépassent nos rêves les plus hardis. Je veux bien que les Titans, lorsqu’ils se mêlaient de débauche et de cruauté, aient conçu et pratiqué ces deux vices avec plus d’énergie que les fous couronnés qui ont régné sur la vieille Rome ; je veux bien que les orgies et les supplices qu’ils ordonnaient pour tromper leurs ennuis aient été conçus sur une plus vaste échelle que les orgies et les supplices ordonnés par la démence impériale ; mais au moins faut-il que Néron et Caligula puissent nous aider à comprendre la débauche et la cruauté des Titans. Or, Tacite et Suétone, malgré l’effrayante nudité de leurs révélations, ne sont d’aucun secours pour l’intelligence de Nemphed et de Lakmi ; et pourtant Tacite et Suétone sont les seuls témoins d’après lesquels il nous soit donné de concevoir la débauche et la cruauté élevées à des proportions monstrueuses. Je pense donc que dans la peinture des Titans M. de Lamartine a manqué le but en le dépassant.

Les différens momens de l’action à laquelle prennent part ces personnages, et que l’auteur a partagée en visions, je ne sais trop pourquoi, offrent plusieurs genres de mérite, et souvent, comme je l’ai dit, des mérites que M. de Lamartine n’avait, jusqu’ici, ni révélés ni promis. Le combat qui délivre Daïdha est plein de beautés neuves et mâles. Je n’aime pas le chœur des cèdres du Liban ; car cette personnification de la nature muette, soutenue pendant plu-