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LA SICILE.

fleurie, si profonde qu’elle aboutissait à l’Érèbe, d’où sortait Pluton quand il rencontra Proserpine jouant avec ses compagnes, du milieu desquelles il l’enleva pour l’emporter sur ses chevaux noirs, dans son royaume des enfers. De la vallée, les deux forts, les deux villes, semblent deux amas de pierres tombées des nues, sur ces deux aiguilles de roches inaccessibles. Elles sont voisines, et séparées cependant par une immensité, qui est ce gouffre, cette vallée sans fond, qu’elles dominent ; et, quand la croix et le croissant flottaient de chaque côté, à la cime d’une tour, on devait penser que cette guerre religieuse des Maures et des chrétiens se faisait en effet dans le ciel, pour la possession duquel on combattait aussi bien que pour les intérêts de la terre.

Le conquérant était forcé d’arracher, une à une, les petites troupes de Sarrasins qui s’étaient enfermées dans leurs petits châteaux, comme Platani, Missor, Rajalbefar, Caltanissetta, Licata et tant d’autres. Quand il eut pris le dernier fort sarrasin, il s’occupa de doter richement les monastères et de leur accorder de grands priviléges qui ajoutaient encore à leurs richesses. Cela fait, sa tâche de guerrier chrétien, qu’il avait si terriblement et si activement remplie, lui sembla terminée, et il se coucha dans sa tombe où l’on mit cette pieuse inscription :

Linquens terrenas migravit Dux ad amænas
Rogerius sedes, nam cæli detinet ædes.

Simon, son fils, hérita de la Pouille, de la Calabre et de la Sicile. Quand il mourut, Roger II, son frère, continua la tâche du grand comte Roger. La Sicile avait alors une organisation : elle formait une puissance indépendante. Le comte Roger avait réglé le service militaire, le droit de siéger dans les assemblées publiques, l’administration de la justice par les vicomtes du souverain dans le domaine de la couronne, et par les barons dans leurs fiefs. Roger II s’occupa de l’administration intérieure. Les bajuli et les vicomtes eurent encore la connaissance des causes civiles, et les strategoti rendirent la justice criminelle. Ils dépendaient des justiciers qui résidaient dans les différentes vallées. Des camerarii surveillaient l’administration. Il y avait de grandes cours de justice ambulantes, guidées par un grand justicier, qui s’en allait par les provinces, jugeant en dernier ressort. Le roi présidait son conseil d’état, qui dirigeait toutes les affaires d’état. Les feudataires étaient jugés par des cours souveraines. Les