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fiefs étaient inaliénables, et la substitution, cette grande base de la féodalité, établie en principe dans toute la Sicile.

Quant au peuple, il avait le sort qui lui était ordinaire dans les organisations féodales ; il payait de sa sueur et des produits de son travail la protection qu’il trouvait sous les murs du château de son seigneur. Ce qu’il y avait de particulier en Sicile, c’est que chaque serf était soumis à un système d’impôt différent, selon la nation à laquelle il appartenait. Le Lombard, le Sicilien, le Grec, le vassal goth, étaient taxés d’une manière différente. C’étaient les corvées d’abord, puis les droits d’ancrage, de transport, de pêche, du sépulcre, du gland, du passage des marchandises, du plateico et d’autres ; mais l’imposition annuelle était défendue, et le droit public, consacré par la diète de Roncaglia, ne la permettait que dans certains cas.

Les procédures différaient aussi, non pas selon les races, mais selon que vous étiez vilain, bourgeois, soldat, baron ou comte ; le régime féodal enfin.

Roger et ses successeurs étaient souverains et maîtres du pays de Naples, mais ils restaient habituellement en Sicile, pays plus enclin à la révolte, et d’où il leur était d’ailleurs plus facile de contenir les Sarrasins d’Afrique, qui s’efforçaient sans cesse de rétablir leur domination détruite par el grande conte Ruggiero.

La Sicile se défendit bien contre eux sous Guillaume-le-Mauvais, fils de Roger II, mais ce fut alors que commencèrent ces longues guerres civiles qu’on peut dire ne s’être jamais tout-à-fait éteintes depuis ce temps-là. Ce Guillaume, étant devenu enfin tranquille dans son palais, et n’ayant à guerroyer contre personne, se mit à satisfaire son avarice, qui était sa passion dominante. Il alla jusqu’à créer une monnaie de cuir, et à obliger ses sujets, sous peine de mort, à changer leur argent et leur or contre les pièces de cuir qu’il faisait fabriquer et marquer de ses armes. Une vieille chronique rapporte qu’un jour, on vit arriver à Palerme un homme inconnu avec un excellent et magnifique cheval qu’il voulait vendre, un bravissimo e bellissimo cavallo. Le possesseur du cheval en voulait un scudo, mais un scudo d’or et non de cuir, un véritable scudo. Le scudo ne se trouva pas dans tout Palerme, ou peut-être personne n’osa en montrer un. La trompette eut beau sonner plusieurs fois pour appeler un acheteur, il ne se présentait que des Grecs qui offraient des monceaux de cuir, en échange de ce superbe coursier. Mais le vendeur tenait bon pour le scudo d’or, et il mettait déjà le pied sur l’étrier pour s’en retourner